"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

samedi 19 mai 2012

Photogénie du christianisme

Il y a un peu plus d'un an que le centre IVG de l'hôpital Tenon, dans le XXe arrondissement de Paris, a été réouvert à la suite d'une action de longue durée du Collectif 20e/Tenon qui s'était constitué dès l'annonce de la fermeture de ce centre.

Cet anniversaire a été marqué par un rassemblement-pique-nique, avec prises de parole, slogans, chants et fanfare, le samedi 12 mai, dans le square E. Vaillant, situé devant l'entrée de l'hôpital.

Si les entrées et sorties de ce modeste espace vert étaient contrôlées par les gendarmes mobiles en caparaçon de combat, accompagnés d'un assez grand grand nombre de « civils » sans brassard, c'était, selon toute apparence pour assurer la sécurité, non des habitant(e)s du quartier faisant leurs emplettes sur le marché du samedi, mais des fidèles bien souvent venu(e)s d'autres paroisses pour affirmer leur opposition à la pratique de l'avortement.

Ils étaient, ce jour-là, en cet endroit que, depuis quelques temps et avec la bénédiction de la Préfecture de Police, ils sanctifient de leur présence, à l'angle de la rue de la Chine et de l'avenue Gambetta. Sous protection rapprochée de la gendarmerie, ils étaient isolés des passant(e)s que les forces de l'ordre détournaient vers d'autres passages piétonniers. L'exemplarité de leur témoignage ne se pouvait admirer que d'assez loin, ce qui n'a pas dû les empêcher, entre deux patenôtres, de pouvoir entendre quelques quolibets lancés par les habitant(e)s du quartier que leur présence commence à exaspérer...

Peut-être ont-ils pu aussi entendre une jeune journaliste de la presse alternative qui faisait remarquer à la cantonade que leur groupe était, finalement, plus photogénique que celui du Collectif.

Ce fut pour moi comme une révélation : au lieu de trouver ce rassemblement simplement ridicule – ce qu'il était -, je pouvais aussi bien le trouver pittoresque.

Et je tentais d'en fixer quelques images...

(Le visage du gendarme est occulté, non par manque de photogénie de sa part, mais par pure bonté d'âme de la mienne.)

Pittoresque et un tantinet carnavalesque.

Le premier de ces « rosaires pour la vie », organisé par l'association SOS Tout-Petits dans les parages de l'hôpital Tenon, s'est tenu le 17 septembre 2011, à une époque où le ministre de l'Intérieur montait en chaire pour jeter l'anathème laïque et républicain sur les prières de rue. Cette pieuse réunion fut perturbée par les ami(e)s du Collectif, ainsi qu'en témoigne ce récit – genre Fabrice à Waterloo – d'une fervente participante, de surcroît blogueuse-photographe, arrivée un peu en retard – genre Grouchy au même endroit :

Lorsque je me suis approchée d'un groupe de gauchistes, j'ai découvert les quelques personnes de SOS T-P. Une personne m'a reconnu. Son regard était celui d'un otage qu'un allier vient libérer. J'en ai été impressionnée. L'expression du condamné à mort s'affichait sur chacun des visages. Le dos plaqué à la grille de l'Hôpital Tenon, ils étaient quasiment corps-à-corps avec les policiers. Une femme laissait couler ses larmes de ses yeux rougis. J'ai ressenti sa forte émotion. Une autre me fit un doux sourire. Dans les hurlements de haine des gauchistes, j'entendais de faibles voix, ressemblant à celles de suppliciés récitant leur ultime prière.

Peut-être sensible à cette détresse, la Préfecture de Police accorda, semble-t-il, une autorisation pour le mois suivant, à condition que la ferveur se déplace un peu plus loin, derrière l'hôpital, dans les environs du métro Pelleport.

Cette fois, notre témoin était en avance, bien décidée à « prendre des clichés de la contre-manifestation » - peut-être trouve-t-elle les « gauchistes » photogéniques... Pour ce faire, elle se dirige vers la rue de la Chine, où la manifestation du Collectif se prépare. Selon ses dires, elle y est reconnue et, prise à partie par une foule qu'elle décrit déchaînée, s'apprête à souffrir pour sa foi.

Mais :

Subitement un policier s'interposa. « Je suis pro-vie ! », lui ai-je lancé pour qu'il m'identifie immédiatement, alors il m'a littéralement prise sous son aile pour me protéger, ce qui donna l'effet aux spectateurs innocents, d'une photographe embarquée par la police. « Ne faites pas de photos », me dit-il, « ils vont vous battre » ajouta-il. Je le quittais quelques mètres plus loin avec un « merci » appuyé.

Une réunion analogue était prévue le 19 novembre, mais elle fut interdite par les services de la Préfecture :

Je viens de recevoir l'information selon laquelle la manifestation de SOS Tout-Petits prévue demain samedi 19 novembre 2011, à 10h30, au Métro Pelleport à Paris 20e, a été annulée par la préfecture de police de Paris. Xavier Dor (*), organisateur de la manifestation, a reçu cette notification d'un commissaire, ce soir à 20h00, après avoir appris « sa probable interdiction » quelques heures au paravent.

Écrit notre blogueuse-témoin...

J'ai assisté à ce rendez-vous raté en grignotant des macarons et ai témoigné des persécutions subies par les défenseurs des Tout-Petits.

Et c'est en prévoyant de me sustenter pareillement que j'ai pu également assister, le 10 décembre, à l'installation du groupe de prière à l'emplacement qu'il a depuis, à chacune de ses apparitions, occupé, sous l'affectueuse protection des forces de l'ordre. J'ai alors raconté que j'avais entendu le directeur de conscience de cette petite troupe se vanter de l'accueil « cordial » qu'il avait reçu dans les locaux de la Préfecture de Police...

Les aléas de ma vie spirituelle trépidante m'ont malheureusement éloigné du quartier Gambetta et je n'ai donc pu assister aux oraisons des 11 février, 10 mars et 31 mars.

Lors de cette dernière performance, notre informatrice-photographe nous dit avoir dénombré 96 personnes, sans préciser si elle s'est elle-même comptée – on est parfois distraite... Les sectateurs des Notre-Dame des Tout-Petits avaient en effet reçu des renforts : des membres d'une certaine « communauté polonaise », « identifiables par leurs capes rouges », et surtout de « nombreuses personnes faisant parties de l'Institut Civitas dont le secrétaire général était lui aussi présent ».

Quant aux résidents réguliers du quartier, ils semblent toujours aussi impies :

Des habitants malveillants auront jeté de leur fenêtre des bombes d'eau et de peinture bleue sur des jeunes qui ont eu leurs habits dégradés.

Note-t-elle, avant, peut-être, d'aller prier pour eux...

Samedi dernier, je n'ai pas constaté de telles voies de fait.

Il est vrai que les pieux protestataires sont restés très sagement derrière le cordon de gendarmerie chargé de les protéger. Ils ont même été raccompagnés par un escadron mobile et trois fourgonnettes jusqu'à l'entrée du métro Gambetta - en passant par la rue des Gâtines, pour faire plus simple.

Un moment après, de la terrasse du Café des Banques, je pus voir une fidèle de la communauté polonaise qui avait gardé son élégante cape rouge répondre aux questions d'une présumée journaliste prenant sérieusement des notes.

Aucun(e) vilain(e) gaucho-féministe n'est venu l'importuner.

(*) Sur Xavier Dor, quelques extraits de la notice Ouiquipédia le concernant :

Docteur ès sciences, Dor a exercé la pédiatrie à l'hôpital de la Pitié-Salpétrière et a été chercheur en embryologie cardiaque à l'INSERM.

Fondateur et président depuis 1986 de l'association SOS tout-petits, Xavier Dor est un des initiateurs des « commandos anti-IVG ». Dans le cas de son association, les actions menées consistaient, pour ces militants antiavortement et catholiques, à s'introduire dans des hôpitaux ou cliniques où étaient pratiquées des IVG, parfois dans des parties interdites au public, et à prier en attendant d'être expulsés par la force publique. Il a ainsi participé à plusieurs dizaines d'opérations au moins, jusqu'en 1995. Son association fut par ailleurs, surtout jusqu'en 1997, à l'origine de manifestations contre l'avortement.

Le docteur Dor a été condamné à de nombreuses reprises pour ses actions, notamment après l'adoption en 1993 de la loi Neiertz, créant le délit d'entrave à avortement légal, et pour avoir organisé des manifestations sans autorisation. Il a été brièvement incarcéré à la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy en novembre 1997, et a effectué un mois de prison en janvier 1998, sous le régime de la semi-liberté.


PS : Le prochain rosaire aura lieu au mois de juin si l'administration persiste dans sa doctrine permissive à l'égard de l'intégrisme catholique. Le Collectif persistera probablement à marquer son opposition à cette remise en cause du droit des femmes.
Pour le soutenir, les amateurs de photogénie seront nombreux !

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