"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

mercredi 25 juillet 2012

Mystère anatomique

Beaucoup moins spectaculaire que celle des dinosaures, la disparition de l'os pénien chez quelques mammifères, dont les mâles de l'espèce humaine, ne laisse point d'être fort mystérieuse. Ce sujet a tout pour éveiller la curiosité des esprits insatiables que nous sommes, vous et moi, mais la littérature de vulgarisation scientifique n'a pas encore, il me semble, traité la question avec toute l'ampleur qu'elle mérite. C'est pourquoi la plupart de nos contemporains, à l'exception de quelques lecteurs attentifs de Fred Vargas - qui, au détour de Dans les bois éternels, la fait découvrir à son commissaire Adamsberg -, ignorent cette particularité anatomique de la majorité des primates.

Bien sûr, on peut parfois entendre un biologiste éclairé, désireux de meubler une conversation languissante ou de faire valoir l'ouverture de son bel esprit, se lancer dans un exposé aimablement érudit. On aura alors droit à l'inévitable anecdote du roi Henri IV qui prétendait avoir cru, jusqu'à quarante ans, que c'était un os. Certains, plus savants ou non, raconteront à peu près la même historiette, mais en l'attribuant à Louis XV qui aurait conservé cette idée fausse sur sa « nature » jusqu'à l'âge de cinquante ans. L'auditoire se prendra alors à regretter qu'aucune étude médico-historique sérieuse n'ait jamais - hélas ! - été entreprise sur le priapisme héréditaire des Bourbon.

Et l'on parlera d'autre chose...

Quelques spécimens d'os péniens,
provenant de la collection du Professeur Cyrille Barrette.

L'os pénien, que l'on nomme également baculum - car on ne saurait parler savamment qu'en latin de tout ce qui concerne, de près ou de loin, la sexualité -, pose aux biologistes une redoutable double énigme. Que cette formation osseuse hétérotopique - non rattachée au squelette - soit présente dans l'appareil génital de certaines espèces, et avec une assez grande variabilité de formes et dimensions, pose la délicate question de sa fonction et de son rôle dans les pratiques de la reproduction. On admet qu'il peut assurer au membre du mâle une rigidité accrue et une meilleure tenue à l'effort, mais cela paraît être une interprétation trop simple dont les scientifiques ne sauraient se contenter. Ils ont été conduits à formuler des modèles explicatifs plus éclairants, comme celui que donne, dans toute sa naïveté virilo-centriste, la notice ouiquipédiesque :

Lors de l’accouplement, c’est sa présence qui cause des douleurs chez la femelle, celles-ci provoquant elles-mêmes une forte contraction du vagin à l’origine de l’orgasme chez le mâle.

(On peut rencontrer le même point de vue dans certaines élucidations du plaisir féminin...)

On a énoncé et tenté de vérifier des hypothèses un peu moins simplistes que celle-là, mais on est encore loin de bien comprendre en quoi la présence et/ou l'absence du baculum est une aide pour le vaillant petit spermatozoïde dans sa stratégie de conquête de l'ovule qui, à terme (!), fait de lui le sauveur de l'espèce...

Une illustration de cette impitoyable compétition :
Woody Allen et quelques-uns de ses congénères avant l'assaut.
( Everything You Wanted to Know About Sex… But Were Afraid to Ask, 1972.)

Avec ses diverses et plaisantes connotations, le sujet peut fournir un bon point de départ pour une chronique scientifique estivale. Les lecteurs - et les lectrices, donc ! - en sauront gré au plumitif... Car il faut bien reconnaître qu'ils - et elles, donc ! - sont un peu las(ses) de réapprendre tous le mois de juillet qu'il y a de bonnes raisons pour que, chaque été, l'homme redevienne un loup sexuel pour la femme - et inversement, donc ! -, parce que, voyez-vous, ça doit être gé-né-tique...

Pierre Barthélémy, journaliste scientifique, « passeur de sciences » et spécialiste en « improbabologie », a retrouvé pour l'occasion une pochade commise en 2001 par deux sérieux universitaires, Scott Gilbert, professeur de biologie au Swarthmore College, et Ziony Zevit, spécialiste de littérature biblique et des langages sémitiques à l'American Jewish University de Los Angeles. Les deux potaches ont publié leur blague érudite sous la forme d'une correspondance adressée à l'American Journal of Medical Genetics où les abonné(e)s peuvent encore la consulter - les non-abonné(e)s iront voir ailleurs, on la trouve aussi.

Pour Scott Gilbert, le récit biblique de la création d’Ève à partir d'une côte prélevée sur Adam endormi par l'Eternel, ne peut s'accorder avec ce que l'on sait de l'humaine morphologie. Ceux qui ont pris la saine habitude de compter leurs abattis savent qu'il ne leur manque, de quelque côté qu'ils se tournent, aucune côte fixe ou flottante. S'impose donc l'idée d’interroger le texte de plus près et de voir ce qui  a été généralement traduit par « côte ». Ziony Zevit a relevé quelques occurrences de ce vocable dans le Livre de Samuel et le Livres des Rois et estimé que, si le mot hébreu ainsi traduit pouvait bien désigner une « côte » ou un « côté », il pouvait aussi prendre le sens de soutien architectural - « colonne », « étai », « poutre », ce genre de choses...

Nos deux compères n'ont aucun besoin de faire un dessin, il est dès lors évident que l'étai osseux de l'anatomie virile qui a servi au bricolage divin est le fameux baculum disparu. 

Ils poussent la malice jusqu'à noter que le prélèvement a laissé une cicatrice sur la morphologie des descendants d'Adam : « cette magnifique suture », nommée raphé périnéal, qui sillonne le pénis, le scrotum et le périnée - preuve que l’Éternel taillait large.

Il est difficile de savoir si les rédacteurs de l'American Journal of Medical Genetics ont pris - un peu - au sérieux cette savante fantaisie, dont le succès peut s'expliquer par la plus-value symbolique qu'elle apporte au mythe de la Genèse. Mais ils ont pu y voir également les prémices prometteurs d'une nouvelle science, encore à construire, l'exégèse biblique évolutionniste...


PS : L'existence, chez certaines espèces animales, d'un os clitoridien, encore nommé baubellum, est encore plus mal connue... Quant à sa fonction, elle est encore plus mystérieuse, cela va sans dire...

3 commentaires:

  1. Ben j'ai une côte flottante en moins, je suis née avec, enfin plutôt sans d'ailleurs. Ce qui n'a d'ailleurs strictement aucun intérêt. Bref, les textes bibliques faisaient peut-être référence à la totale innocuité d'une absence de côte flottante.

    On n'est pas plus avancé pour autant d'ailleurs.

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    1. Je ne doutais bien que l'on pourrait trouver des contre-exemples invalidant la théorie de Scott Gilbert et Ziony Zevit en la personne de descendant(e)s direct(e)s de l'Adam édénique...

      Bravo, vous êtes la première à se signaler.

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  2. Cherchant ailleurs dans le biblique pour tenter de répondre aux deux billets suivants, je tombe sur ceci, qui réjouit mon cœur de philologue (oui, je sais, une légende veut que cette engeance de chercheurs possède un os spécial pour pousser sa curiosité pointilleuse jusqu'au derrière des mouches...).

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