"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

mardi 10 juillet 2012

Retour à l'ordinaire

Hormis quelques rancuniers qui n'ont peut-être pas de papiers, tout le monde s'est ému en entendant monsieur Claude Guéant, ancien ministre de l'Intérieur et des Expulsions vers l'extérieur, expliquer, sur France-Inter où il était venu prendre un petit café, que

Vivre comme un citoyen ordinaire, ça fait du bien aussi.

Le pensent également tous ceux dont la vie la plus ordinaire qui soit a été rendue impossible sur le sol français par la politique menée par Claude Guéant et ses amis. Mais ce n'est pas de cela que notre antipathique has-been voulait parler.

Avec beaucoup de dignité, sans pleurnicher le moins du monde, cet homme qui avait la prétention de se faire élire comme représentant du peuple de Boulogne-Billancourt a expliqué dans le poste :

Depuis des années et des années, je vis entouré d’une équipe qui s’occupe de mes petits problèmes, qui me passe mes coups de téléphone, qui me prend les rendez-vous...

Maintenant, je passe mes coups de téléphone moi-même. C’est intéressant d’ailleurs, car ça montre aussi ce qu’est la vie des Français.

Je dois faire quelques contrôles médicaux, eh bien je vois ce que c’est d’obtenir un rendez-vous, c’est pas si simple que ça !

Cependant, il omet peut-être de préciser que la plus grande difficulté rencontrée est que la plupart des standardistes le prennent pour Gérald Dahan lorsqu'il se présente au bout du fil...

J'ignore s'il a réussi à obtenir ses rendez-vous et quelles ont été les conclusions de ces examens de contrôle, mais il est possible qu'il en ait bavardé avec Jean-Marc Leclerc, journaliste au Figaro - mais pas que - à qui, « rompant le relatif silence qu'il s'est jusqu'à présent imposé », il a accordé un entretien. Cependant, loin de nous donner des nouvelles de la santé de monsieur Guéant, le compte-rendu est plutôt centré sur l'appréciation portée par l'ancien ministre sur son successeur, monsieur Manuel Valls, qui, ainsi que l'indique le titre, lui inspire quelques réserves.

A propos du si consensuel « combat contre la délinquance », le tout nouveau « citoyen ordinaire » hésite un peu entre lapalissade et raffarinade :

Si on ne se fixe pas d'objectifs, on risque de ne pas les atteindre…

Mais c'est sur le terrain de l’immigration des « clandestins » que l'on retrouve toute la verve méli-fielleuse de « l'ancien patron de toutes les polices » - j'emprunte cette heureuse périphrase au talentueux Jean-Marc Leclerc.

Claude Guéant rappelle qu'au temps où il était aux affaires, la police éloignait 3000 à 4000 clandestins par mois. « J'ai entendu dans la bouche de M. Valls qu'il y avait eu quelques dizaines de reconduites depuis son arrivée », relève-t-il un peu gêné. Mais il faut bien un peu de temps avant de « rentrer dans les dossiers », concède-t-il.

Malgré la volonté de perfidie de cette remarque - que le sorti des affaires aurait faite « un peu gêné » (!!) -, on entend bien que la critique que monsieur Guéant adresse à monsieur Valls reste limitée au domaine du symbolique : la question semble bien être de savoir qui des deux a la plus grosse...

(...motivation)

(Bien sûr.)

Exhibitionnisme pipolitique du changement de maintenant.
Anne Gravoin, Johnny Hallyday, Manuel Valls, Laeticia Halliday...
(Photo : Bestimage/Borde/Corlouer/Jacovides/Rindoff Petroff,
pour La Parisienne dans Le Parisien.)

Si la critique de l'action de Manuel Valls par Claude Guéant semble si asthénique ce n'est sans doute pas pour des raisons médicales. C'est plus probablement le signe de leur entente profonde sur l'essentiel : la « vocation » de l'étranger sans papiers à être flanqué à la porte car, en somme, « nous ne sommes pas en situation aujourd'hui d'accueillir plus que ce qui est possible sur notre territoire national » - Manuel Valls, samedi 7 juillet 2012, réécrivant en style bleu marine une célèbre déclaration de son ancienne idole, Michel Rocard.

Monsieur Claude Guéant doit tout de même apprécier, mort de rire, la récente circulaire qui vient d'être adressée aux préfets par le ministère de l'Intérieur et des Expulsions vers l'extérieur. Très naïvement, sous le titre Rétention des enfants, l'exception, Michel Henry, dans Libération, la résume ainsi :  

Selon ce texte (...) l’assignation à résidence devient la règle pour les familles en situation irrégulière, et le placement en rétention, l’exception. L’assignation est « moins coercitive, plus humaine et respectueuse de l’intérêt supérieur de l’enfant », assure l’Intérieur. Elle peut s’effectuer soit au domicile des familles, si elles en ont un, soit en milieu hôtelier. Ne seront dirigées vers les centres de rétention administrative (CRA) que les familles n’ayant pas respecté une assignation, ainsi qu’« en cas de fuite d’un ou plusieurs membres de la famille ou en cas de refus d’embarquement », explique Manuel Valls dans ce texte de trois pages. Lorsque la famille « s’est volontairement soustraite à l’obligation de quitter le territoire français », elle sera, dès interpellation, mise en rétention.

Notre ancien ministre, je le suppose, n'ignore pas la règle historique jadis entrevue par Walter Benjamin. Elle veut que pour certains - par exemple ces étrangers indésirables bannis de nos terres - l'exception est une sorte de règle... La circulaire prévoit d'ailleurs très précisément qu'elle le devienne, en y mettant quelques formes symboliques qui, avec l'apport d'éléments de communication appropriés, devraient faire taire un peu plus les associations et collectifs de soutien.

Et puis, comment ne pas applaudir à cette suprême habileté de faire peser sur les familles cette menace de placement en rétention au cas où leur viendrait l'idée de se soustraire volontairement à l'obligation de quitter le territoire francais ?

Que Mayotte, où 5.389 enfants ont été privés de liberté en 2011 - et dans quelles conditions ! -, soit maintenu dans un état de réelle exception par cette même circulaire, on l'expliquera par le fait que « c'est un territoire qui est soumis à une pression migratoire massive ». Tout un ensemble de promesses - un « dialogue avec les autorités comoriennes », une étude par « une personnalité indépendante », « un rapport sur la situation des droits » dans l'archipel et des propositions « dès la rentrée » - autorisent, semble-t-il, le ministère de l'Intérieur à tolérer l'intolérable, qui n'est, dans sa rhétorique, qu'une « situation singulière »...

Avec un peu d'indulgence et beaucoup d'imagination, Michel Henry voit dans cette circulaire un premier « signe de bonne volonté »...

Un deuxième serait, selon lui, « la future suppression de la franchise de 30 euros imposée depuis 2011 aux étrangers en situation irrégulière pour accéder à l’aide médicale d’État (AME) ». Si cette mesure stupide et abjecte était effectivement rapportée, cela serait en raison des dangers qu'elle fait courir à la bonne gestion de la santé publique, donc en raison de sa stupidité et non de son abjection. Il est probable que nous ne soyons plus « en situation aujourd'hui » de ne pas être abjects, de temps en temps. Cela fait partie de l'ordinaire de la politique...

A ce « deuxième signe de bonne volonté », monsieur Brice Hortefeux, qui s'en voudrait d'en rater une, a déjà vigoureusement réagi :

C’est un très mauvais signal qui va créer un appel d’air pour tous les candidats à l’immigration.

D'autres, aussi imaginatifs que lui dans l'argumentation, vont sans doute nous reparler des histoires de ces pauvres mémés bien ordinaires et bien de chez nous qui, à cause des étrangers clandestins, me peuvent plus se faire soigner...

Monsieur Guéant pourrait au moins leur faire entendre que, de toute façon, ce n'est pas si facile que cela, actuellement, de prendre un rendez-vous pour un contrôle médical ordinaire...

5 commentaires:

  1. J'avoue que j'ai versé une larmichette en lisant cet interview de monsieur Guéant, pauvre homme voilà à quoi il en est réduit. Passer ses coups de fil lui-même. Tiens j'y pensais encore en faisant ma vaisselle, mon repassage et en lavant mes wc.

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    1. Encore heureux sommes-nous de ne pas à avoir à entendre son avis sur la vaisselle, le repassage et l'entretien des sanitaires...

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    2. Je viens de tomber sur ça :
      http://www.rue89.com/2012/07/12/etudiant-etranger-comment-jai-ete-expulse-de-france-233202
      Bise, Monsieur Guy.

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    3. Merci pour le lien.

      Je n'avais pas vu.

      Certains des commentaires pourraient consoler ce pauvre monsieur Guéant, s'il avait le temps de lire Rue89...

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    4. Ouaiche, je me suis aussi fait la réflexion…

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