"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

samedi 8 septembre 2012

Arpenteurs d'un simulacre

Dès l'abord, cela ressemble à une de ces blagues fort appréciées des antimilitaristes qui croient encore que les militaires sont aussi bêtes que les ecclésiastiques.

Ce qui est faux, on le sait bien.

Cette histoire était bien peu connue avant que Xavier Boissel ne s'en empare pour en faire un livre que les bons libraires - c'est à cela qu'on les reconnait - proposent encore aux lectrices et lecteurs qui fréquentent leurs échoppes. 

Xavier Boissel,
Paris est un leurre
 La véritable histoire du faux Paris.

A la fin de la première guerre mondiale, vers 1917, l’État-major français décide de planifier une réplique de Paris et de ses environs destinée à duper les aviateurs allemands susceptibles de venir bombarder l'agglomération parisienne. (...)

Nous disent les premières lignes du prologue.

Xavier Boissel a commencé par se pencher sur la documentation relative à cet étonnant projet. Elle n'est pas très abondante et, du service historique de la Défense à Vincennes, il lui fut répondu qu'on n'en pouvait trouver aucune trace dans le fonds d'archives... Il put cependant rassembler bon nombre de détails sur cette tentative inaboutie - les installations prévues se furent pas opérationnelles avant l'armistice de novembre 1918 - et même retrouver, dans une collection privée, des clichés d'époque. Il put, surtout, localiser avec précision les endroits qui avaient été choisis pour qu'on y construise le simulacre lumineux de la ville, qui devait leurrer les aviateurs de l'armée allemande.

Tout cela aurait pu donner de quoi alimenter un petit articulet bien troussé - c'est en gros le prologue du livre -, mais ce n'est pas vraiment l'idée qui est venue à notre auteur :

Les lieux où devaient être construite cette ville en fac-similé requéraient que l'on s'y rende, qu'on les arpente méticuleusement, que l'on soit à l'affût du moindre signe susceptible de renvoyer à cette chimère, que l'on pousse l'investigation au cœur de la syntaxe urbaine, attentifs aux lapsus du territoire. Il fallait, quand bien même le réel est toujours déceptif, accorder créance au genius loci.

Il s'est donc lancé à la dérive, avec la complicité de Didier Vivien pour les photographies et celle de Gaspard Vivien pour la cartographie et les simulations, dans une Tentative d'épuisement d'un leurre parisien...

C'est le titre du premier chapitre.

Plan de la zone B' du faux Paris,
reproduit dans le cahier photo.
(L’Illustration n°4048, 2 octobre 1920.)

Cette divagation sur les lieux où se sont depuis longtemps évaporés les vestiges d'une ville factice a été réalisée les 18 et 21 décembre 2011 sur deux des sites qui avaient été retenus par l’État-major en 1917. Le livre et le site associé en retracent, par l'image et l'écriture, le parcours et en recensent les découvertes...

L'itinéraire des arpenteurs se développe aux frontières des territoires du réel « toujours déceptif », se heurte à l'entrée d'une caserne, longe une boucle de la Seine, traverse l'autoroute A1...

(Je ne résume pas, je fais du vrac.)

Et l'on se réjouit que, par un effet somme toute prévisible du hasard objectif, cette errance à la poursuite d'un faux semblant finisse sa course dans le vrai semblant des installations assez minables, mais bien réelles, de « Morlu City »...

Morlu City, vue partielle.
(Photo : Didier Vivien.)

Le chemin de Xavier Boissel et de ses complices en dérive psychogéographique en croise d'autres, et de ceux qui jamais ne déçoivent.

Ce sont les chemins de la réflexion, et l'on y rencontre « toute une constellation de penseurs, de Günther Anders à Jean Baudrillard en passant par Daniel J. Boorstin ou Guy Debord, qui se sont efforcés de conceptualiser le règne désormais généralisé du faux ».

Et bien d'autres encore au fil des pages.


PS : Une citation de Guy Debord, à la fin de l'avant-dernier chapitre, qui affirme que « Paris n'existe plus » - mais a-t-il jamais existé ? - m'a donné l'envie de revoir le film dont elle est tirée, In girum imus nocte et consumimur igni, 1978. On peut le trouver sur le site UbuWeb...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire