"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

jeudi 27 septembre 2012

Parade d'intimidation

La menace que fait peser sur notre beau pays l'« islamisme radical », qu'elle vienne de l'intérieur, ou de l'extérieur, ou qu'elle campe à cheval sur nos frontières, est peut-être bien réelle...

(Je n'en sais rien et je n'ai pas les moyens de le savoir.)

Ce peut être, dans le même temps, une sorte d'épouvantail bien commode pour ceux qui ont les moyens de faire croire qu'ils ont les moyens de savoir.

Et cela leur donne l'occasion de faire savoir qu'ils ont les moyens d'agir.

Le ouiquende dernier, on les a spectaculairement déployés, par cars entiers sur une bonne partie du territoire, au prétexte d'éviter que ne s'exprime trop vivement le désaccord de certain(e)s avec l'usage qui avait été fait de la liberté d'expression par l’équipe des désopilants humoristes de Charlie Hebdo. On a pu lire dans la presse, au début de cette semaine, que la France ne s'était pas enflammée... Et puis l'on est passé à des choses beaucoup plus importantes : quel allait, par exemple, être le dessin de couverture du prochain numéro de notre vaillant hebdomadaire satirique ?

Dès le samedi soir, on avait pu apprendre en ligne qu'il ne s'était rien passé de notable. On pouvait trouver, sur le site du Huffington Post, un copieux reportage au titre-valise - Important dispositif policier dans Paris, crainte de manifestations illégales : une femme voilée interpellée au Trocadéro, calme plat à la Concorde - donnant tous les détails sur la grande parade des forces de police et de gendarmerie. Les journalistes présents sur place pour couvrir, en temps réel, cette absence d'événement ont bien fait leur travail. Place du Trocadéro, ils ont rencontré un certain « Rachid, 35 ans, musulman pratiquant et père de trois enfants » qui aurait bien voulu manifester, « mais tranquillement », et place de la Concorde, ils ont débusqué un certain « Youssef, 16 ans, de Bagnolet », « tout de noir vêtu, haut de survêtement et cheveux très courts », qui leur dit être « là pour foutre la merde, tu vois, comme les casseurs dans les manifestations »... On admire un tel professionnalisme.

Comme en passant, et surtout comme si cela allait de soi, on signale que, sur l'esplanade du Trocadéro, également nommée, si je ne m'abuse, Parvis des Droits de l'Homme,  « au moins une quinzaine de personnes, dont plusieurs femmes voilées, ont été emmenées dans un "panier à salade" garé sur la place, après avoir refusé de présenter leurs papiers », tout en suggérant qu'elles l'ont bien cherché, tout de même, puisque « l'une d'entre elles, particulièrement virulente, criait "je m'en remets à Dieu", en étant dirigée vers le car de gendarmerie mobile »...

Et sans le moins du monde surenchérir, l'article ajoute, en renvoyant confraternellement au Parisien, que « l'une de ces femmes voilées, qui était assise autour de la place, a crié "J'emmerde la laïcité", avant d'être interpellée par des policiers en civil sous le regard des passants et des journalistes ».

Peut-être lui reprochait-on une sorte de blasphème...

Comme il est plus facile de recueillir les confidences d'un gamin de Bagnolet qui se la joue place de la Concorde que de dialoguer avec une femme portant le « voile islamique » que l'on vient d'humilier publiquement, on cherchera en vain, dans la presse, le moindre témoignage direct de l'une ou l'autre de ces « femmes voilées », interdites de séjour sur la plus belle des esplanades de la capitale.

La vidéo du Parisien, montage abrupt de quatre séquences intitulé La place du Trocadéro interdite aux femmes voilées, donne à voir la colère de l'une d'elles, sans explication, et la tristesse résignée de quelques autres...

En voyant ces images, je me suis dit qu'à ce train-là, je ne tarderai pas, moi aussi, à être pris de l'envie de conchier cette laïcité-là.

Une certaine image de la France.
Parvis des Droits de l'Homme (et de la Femme), 22 septembre 2012.
(Photo : DR.)

On peut admettre que c'est un sage principe de prudence minimale qui a conduit les autorités à interdire les rassemblements de samedi dernier.

Hier, on apprenait que les mêmes autorités avaient finalement autorisé la manifestation prévue samedi prochain, sous la forme d'une grande parade d’intimidation, par le groupe des Jeunesses Nationalistes...

C'est du moins ce qu'annonçait le site de Street Press, qui est à peu près le seul média, avec la Feuille de Chou et Ras l'front - Isère, à avoir parlé de ce projet.

On pouvait y lire :

Info StreetPress - Bonne nouvelle pour tous les antisémites, les islamophobes et les anti-républicains. La manifestation du groupuscule néo-fasciste Les Jeunesses Nationalistes aura bien lieu samedi 29 septembre à Paris. C'est la préfecture de police qui l'indique.

Autorisation Jointe par StreetPress, la préfecture de police de Paris a confirmé avoir donné son autorisation au groupuscule d'Alexandre Gabriac et d'Yvan Benedetti de défiler dans les rues de la capitale. « Tout a été déclaré dans les règles, il n'y a pas de motifs d'interdiction », fait-on valoir du côté des forces de l'ordre. Pour être interdite, une manifestation doit être susceptible de provoquer « des troubles à l'ordre public » ou « être dans l'impossibilité technique de se réaliser ». Des risques écartés par la préfecture de police qui a rendu sa décision mercredi matin.

(...)

Décision politique Un des slogans du rassemblement sera « Islam hors d'Europe », tandis que l'écrivain antisémite Hervé Ryssen est attendu dans le cortège. Quand on fait valoir que les manifestations « contre l'islamophobie » du week-end du 22 septembre ont été interdites pour moins que ça, le service com' de la préfecture de police se défausse : « C'est une décision politique, je ne peux pas vous répondre. »

Ce matin, cet article était précédé d'une mise au point :

Edit du 27.09 à 10h45 : La préfecture de police de Paris vient de faire savoir à StreetPress que la déclaration de manifestation des Jeunesses Nationalistes était toujours à l'étude. Le préfet devrait prendre une décision jeudi ou vendredi. Hier pourtant, la préfecture assurait que la déclaration avait « été examinée » et que la manifestation « aurait bien lieu ».

A-t-on compris, à la préfecture, qu'il y avait d'autres « prédicateurs de haine » que les « salafistes » et assimilés ?

Je n'en sais rien et je n'ai pas les moyens de le savoir.

Reste que je demeure attentif aux mises à jour de mes ami(e)s de Ras l'front - Isère, qui suivent cela de près...

Une certaine image de la France, bis.
Manifestation des Jeunesses Nationalistes à Lyon, janvier 2012.


Ajout du 28 septembre :

Après, semble-t-il, quelques atermoiements, l'interdiction de cette manifestation a été prononcée par les services de la préfecture de police de Paris.

Selon Le Monde, qui cite l'AFP, qui cite la préfecture :

Cette interdiction "a été prise au regard des troubles à l'ordre public" que cette manifestation "n'aurait pas manqué d'engendrer".

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