"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

dimanche 11 novembre 2012

Un prix par surprise

J'ai lu et aimé tous les livres de Scholastique Mukasonga, et particulièrement son roman, Notre-Dame du Nil, paru au printemps, dans la collection Continents noirs des éditions Gallimard. Par conséquent, je me suis fort réjoui d'apprendre qu'elle a reçu, pour ce livre, le prix Renaudot 2012.

De cette attribution, Thierry Clermont, échotier littéraire au Figaro, a donné un compte-rendu qu'il a intitulé : Renaudot : stupeur et interrogations. Il y fait part de son profond étonnement - qui va, si l'on veut bien le croire, jusqu'à la « stupeur », ce qui n'est pas rien - devant la décision des jurés de récompenser le roman d'« une quasi-inconnue », lequel « ne figurait pas sur leur liste finale, mais seulement sur leur liste initiale rendue publique avant l'été ». Après avoir rappelé, exemples à l'appui, que « les membres du Renaudot ne sont pas des plus pointilleux sur leur règlement », il souligne, comme si cela une quelconque pertinence, qu'ils « confirment leur engouement pour la littérature africaine d'expression française », ce qui est probablement à ses yeux une sous-variété de littérature, voire une variété de sous-littérature.

Il tentera plus loin de dire quelques mots du livre qui a été récompensé. Ne l'ayant manifestement pas lu, il se contentera de recopier les quelques indications qu'il a pu glaner dans le dossier de presse fourni par l'éditeur. Mais avant d'en venir là, notre critique tient à exposer ses « interrogations » devant ce qu'il nomme un « tour de passe-passe »...

On est également en droit de se demander combien de jurés ont lu ce récit. Il était en effet passé pratiquement inaperçu à sa parution au printemps dernier. Une chose est sûre : Jérôme Garcin l'a lu. Juré du prix Renaudot depuis 2010, et patron des pages culture du Nouvel Observateur, il a consacré dans son magazine une pleine page élogieuse sur Scholastique Mukasonga…

On a peine à le croire, mais il semble bien qu'en signant cet articulet ragoteur, un petit - et quasi-inconnu - chroniqueur littéraire du Figaro entend régler ses comptes avec l'un de ses collègues dont la position médiatique lui fait de l'ombre. Il le fait, avec toute l'élégance de sa médiocrité, en cherchant à discréditer le travail d'une grande dame en écriture qui honore la littérature française.


Scholastique Mukasonga
(Photo : C. Hélie/Gallimard.)

Pour étayer sa mesquine dénonciation, Thierry Clermont cite partiellement les indiscrétions d'un des jurés, Franz-Olivier Giesbert :

On tournait en rond,, on a eu beaucoup de mal, il n'y a eu jamais un tel blocage et puis soudain, il y a eu un emballement général.

Mais, voulant insinuer une manipulation venue de la part de Jérôme Garcin,  il se garde bien de reprendre cette autre révélation, consignée dans la dépêche de l'AFP :

En fait, c'est un autre juré, le Nobel de littérature J. M. G. Le Clézio, qui a lâché son nom, raconte Giesbert.

Georges-Olivier Châteaureynaud, président du jury, confirme et ajoute, comme pour excuser Le Clézio, qu'il « est attentif à ce qui vient d'ailleurs »...

Que J. M. G. Le Clézio sache lire beaucoup mieux qu'un plumitif du Figaro n'est pas une hypothèse à négliger non plus.


PS : Comme pour se remettre de leur surprise, qui ne va pas toujours jusqu'à la « stupeur », les médias octroient une place non négligeable à cette attribution du Renaudot à Scholastique Mukasonga, qui leur accorde volontiers des entretiens.

Pour entendre le timbre et le phrasé de sa voix, on pourra écouter, sur France Culture, l'émission Les Matins du vendredi 9 octobre - mais seulement si l'on est en mesure de supporter les interruptions intempestives de Marc Voinchet, le maître des lieux, qui aime tant faire savoir qu'il a déjà tout compris de ce que son invité(e) voulait dire.

La veille, elle avait accordé un entretien à Marjorie Janetaud, pour un site d'informations locales, Côté Caen, qui a été publié sous le titre : Interview. Le prix Renaudot est attribué à une Normande.

Scholastique Mukasonga vit, en effet, à Saint-Aubin-sur-Mer. Elle exerce la profession de mandataire judiciaire à l’UDAF - Union départementale des associations familiales - et elle travaille à Caen.

A la question de savoir pourquoi elle a choisi de vivre en Normandie, elle répond très simplement:

J’ai choisi la Normandie pour ses vaches et la pluie.

Cela ne surprendra que celles et ceux qui n'aiment ni les vaches ni la pluie, ou qui manquent radicalement d'humour.

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