"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

mercredi 12 septembre 2012

Orthodoxie policière

Inéluctable conséquence d'un printemps qui ressemblait à une toussaint aggravée, mes deux pommiers sont dépourvus de pommes.

(Ainsi que mon cognassier, mais son cas est à peu près normal : il n'a jamais produit de pommes.)

Se foutront éperdument de ces tristes informations celles et ceux qui vivent plutôt au rythme des « saisons » des séries télévisées et qui sont arrivé(e)s sur cette page à la suite d'une erreur de télécommande...

Ce n'est pourtant pas sorcier...
(Publicité de 1955 pour une des premières télécommandes sans fil,
trouvée sur le Soleil qui affirme la tenir de la famille de M. Eugène Polley.)

Je n'aurai pas l'outrecuidance d'apprendre à ces égaré(e)s de la zapette que vient tout juste de débuter la quatrième saison d'Engrenages, « la meilleure série policière française ». On reprend ici l'heureuse expression de Pierre Sérisier qui a anticipé cet important événement sériel en livrant, dans Le Monde des séries, un papier admiratif sur ce véritable fleuron de l'industrie narrative nationale. Il l'a, comme on pouvait s'y attendre, qualifié de « superbe mécanique de précision ». A l'en croire, « cette fiction noire, dure, violente et proche de la réalité contemporaine » se rapprocherait « des belles heures du polar national illustrées par les ouvrages de Jean-Patrick Manchette »...

Vérifier la justesse de cette flatteuse appréciation sur Engrenages exigerait que l'on y jette un œil ou que l'on y mette le nez. Ce que je ne manquerai pas de faire lorsque j'aurai épuisé tous les autres plaisirs que me proposent les arts et les lettres...

A côté des éloges de Pierre Sérisier, la version papier du gratuit 20 minutes a apporté sa contribution au lancement de la saison 4 en publiant un court entretien d'Anne Landois, coscénariste de la série, avec Anne Kerloc'h. Cet article, intitulé « Une criminalité sous-jacente », était chapeauté d'informative façon :

Le crime est parfois pavé d'utopiques intentions. Après la mafia de l'Est et l'ultra-caïd de banlieue, « Engrenages » s'intéresse aux dérives d'anarcho-autonomes. Explications avec Anne Landois, coscénariste.

La première question est d'une parfaite concision et d'une charmante naïveté :

L'actualité vous a inspirés ?

Et la réponse surprend par sa clairvoyance criminologique :

Avec Eric de Barahir, coscénariste, nous avons été marqués par l'embrasement de la Grèce. Les autonomes, ceux qu'on a vus manifester contre les sommets du G8, circulent d'un pays à l'autre, se frottent aux anarchistes grecs, devenus de plus en plus violents avec la crise. Pas une criminalité frontale comme Action directe ou les Brigades rouges en Italie, mais une criminalité sous-jacente.

On se souvient que quelques journalistes éclairés avaient tenté d'attirer l'attention du public sur cette dangereuse internationale de l'anarcho-autonomie. Il est possible que cela ait alerté nos sagaces scénaristes...

Pierre Sérisier, signalant que « l'histoire débute dans les milieux de l'ultra-gauche », avait pensé « immédiatement à la complexe affaire de Tarnac qui, de loin en loin, est revenue occuper la une des journaux pendant quatre années », avant de constater que, « par capillarité », le scénario « gliss[ait] à la question des sans-papier, des squats, des reconduites à la frontière et du traitement des immigrés en situation régulière ou irrégulière vivant sur le sol français ».

Avec un professionnalisme très affuté, Anne Kerloc'h relance la conversation :

Les « méchants» sont des dissidents radicaux d'un collectif de défense des sans-papiers ...

La réponse permet de déceler chez la coscénariste un indéniable enthousiasme narratologique, non dénué, par ailleurs, d'un grand respect de l'ordre républicain :

Cette ambiguïté les rend intéressants. Ils sont différents des clients habituels de la police : des jeunes de la classe moyenne qui font des études, n'ont pas peur des institutions, sifflotent en garde à vue. Il fallait faire gaffe à ne pas les rendre trop sympas, montrer comment l'idéologie peut mener à la radicalisation. Toute la saison joue sur l'ambiguïté. Des immigrés clandestins en abusent d'autres, une famille indépendantiste kurde se conduit en mafia. Cela donne des personnages originaux, passionnants à travailler !

Bien sûr se pose la question de savoir si nos brillants scénaristes ont travaillé sur le motif :

Vous avez eu des contacts dans ce milieu ?

Au début, oui. Mais pour des militants des droits des sans-papiers, « Engrenages » donne trop le point de vue de la police. Ils ont dû avoir un sentiment de trahison car, à la base, c'est une série policière... Au final, un ancien anarcho-autonome venu en consultant nous a permis d'être au plus près de la réalité pour le décor des squats, les slogans, le fonctionnement des groupes. Officiellement, il n'y a pas de hiérarchie, mais il y a toujours un chef. Et les rapports hommes-femmes sont conservateurs. Les femmes font les courses...

(Je suis sûr que cette révélation sociologique de grande portée va vous coller plus d'un téléspectateur dans son fauteuil ! Le temps qu'il s'en remette, Mémaine aura eu celui d'aller chercher la bière au frigo...)

Et parfois l'heureux Glandu aura le choix...

On voit que l'esprit de critique sociale ne trouble guère la candeur d'Anne Landois qui reprend à son compte la construction idéologique de l'« ultra-gauche » mise au point depuis quelques années par les « marchands de peur ». Il est plus que probable que la série qu'elle a coscénarisée contribue, en la mettant en spectacle, à installer davantage cette représentation dans les esprits.

Certes, les plus mal pensants d'entre eux pourront trouver que la caution d'« un ancien anarcho-autonome venu en consultant » est assez légère quand on tient à « être au plus près de la réalité », mais ils sont loin de constituer une grosse part d'audience. Pour les autres, la série Engrenages peut  produire d'autres certificats d'authenticité, à commencer par l'expertise revendiquée du second coscénariste, Eric de Barahir, qui, dans ce qu'il est convenu d'appeler la vraie vie, est policier. Il a eu droit, lui aussi, à son entretien dans 20 minutes, mais c'était avec Charlotte Pudlowski, et à l'occasion du lancement de la saison 3. Il s'y présentait comme « le garant d’une certaine orthodoxie »...

Et sans doute parce cette « orthodoxie » était encore sous garantie, il pouvait expliquer les agissements parfois peu catholiques de ses flics de (docu)fiction en affirmant doctement :

Les gens mentent tout le temps. Pour sortir, la vérité a besoin qu'on les pousse dans leurs retranchements.

Il faut croire que le public s'accommode bien de ces forts relents de flicaille et les apprécie...

Pierre Sérisier, quant à lui, trouve à « la meilleure série policière française » une autre qualité, qui est de faire penser. Cette « fiction qui renvoie à des situations connues», dit-il, « pose des questions auxquelles le rythme frénétique de l'information en continu n'a pas permis de répondre de manière satisfaisante »...

On devine que les réponses suggérées relèvent de la plus authentique  « orthodoxie ».


6 commentaires:

  1. Eh bien, je plains ceux qui ont encore la télé....

    Ce n'est bon que pour les personnes très handicapées, ou très âgées, encore que je doute de la pertinence des programmes qu'elles doivent s'infliger.

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    1. On peut aussi regarder sur son PC, je crois, et sans doute télécharger par capillarité criminogène sous-jacente, si ça se trouve...

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  2. «Les femmes font les courses», puis gambadent en mordant des pommes éclatantes à goût de fleur fantôme. Le jus coule sur leur menton de vipère (on n'imagine pas), elles chuintent pour l'aspirer. Les hommes, leurs doigts griffus noircis par la mise-en-œuvre de trois cents quintaux de coings destinés à des sabbats d'hiver dont les parfums font frémir, se retirent en leur cabinet pour rédiger le Traité sur la Forme au Poing, Grosseur & Dureté parfaites du Coing de l'Insurrection Bio qui vient ; et sur les Soins à lui donner en Riposte aux Tirs de Flash-ball. Aux années cruelles sans pomme ni coing, ni poire ni prune, on voit ces individus aux rapports sournoisement genrés remuer des buissons d'épines géantes d'où ils émergent zébrés de sang et de jus de mûres — «how lovely !», déclarent des vieux attardés de la saison, égarés hors de la perfide Albion dont l'humour rebute. C'est dire si ces gens sont des consultants crédibles, en phase avec la réalité consultée, et que même «anciens», voire repentis, ou «poussés dans leurs retranchements», les appâter ou torturer à la zapette est d'un maigre profit, et qu'on doit bénir les années sans fruits.

    Que tout ce qui tourne autour d'Engrenages, et qui lit ce blog influent, ne s'avise pas de voir ici un scénario : les coings des années à fruits, j'en ai tout une chambre froide — en congelé-lancé, c'est létal.




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    1. Quelle chute !

      (Mais Alain Bauer va sans doute te prendre au sérieux...)

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    2. Un seul buisson glorieux de mûres sauvages, en terrain pentu, suffit à bousculer Alain pour toujours, qui ne manquera pas de s'agiter pour mieux s'y prendre. On comprend le sens de son apostolat prudent (il ne vient jamais me voir) en même temps que celui de la couronne d'épines (des centaines de petits couteaux dont la brise balance les frondaisons vers nos paupières). Tiens, ça me rappelle un truc de Brigitte Fontaine : «les CRS se massent comme des buissons de mûres».

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    3. Ah ! c'est malin, et maintenant je réécoute tous les premiers Brigitte Fontaine...

      (Pas si grave, ce sont les meilleurs.)

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