"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

mercredi 14 novembre 2012

Violence bocagère

Spécialiste au Figaro des questions dites de sécurité - domaine où il y a moins de questions que de réponses proportionnées -, Christophe Cornevin est un journaliste dont les talents sont bien reconnus dans les services de police, et au ministère de l'Intérieur. La plupart de ses papiers s'abreuvent goulûment aux fameuses « sources proches de l'enquête », qui sont, on le sait, d'une incomparable limpidité. Le changement sans virages que nous connaissons depuis six mois n'a pas, semble-t-il, rendues caduques les précieuses entrées de son carnet d'adresses...

C'est lui qui signait, hier matin, une « info Le Figaro » - je vous épargne toutes les majuscules - qui devait, avec des accommodements divers, faire le tour de la presse. Si l'on se fie à l'adresse complète de cet article - http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/11/13/01016-20121113ARTFIG00342-notre-dame-des-landes-un-vigile-brule-dans-la-nuit.php -, le titre initial a dû être modifié... On trouve maintenant :

Notre-Dame des Landes : un vigile blessé dans la nuit.

Et l'on peut lire :

Un vigile a été grièvement blessé dans la nuit de lundi à mardi alors que ce dernier surveillait un ancien squat évacué par décision de la justice sur la commune de Fay de Bretagne (Loire-Atlantique), sur une zone de délaissement où située à proximité de l'endroit où devrait s'installer le futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Vers 3 h 30, l'agent de gardiennage a été pris pour cible par une vingtaine d'inconnus cagoulés et armés de gourdins alors qu'il était posté, au volant de sa voiture, devant une maison récemment évacuée. Les agresseurs ont aspergé son véhicule de produit inflammable. « Ils ont discuté pour savoir s'ils le laissaient dedans avant de finalement le sortir et le rouer de coups », a précisé Michaël Doré, sous-préfet de la région Pays de la Loire. Le vigile est parvenu à s'enfuir, pieds nus, tandis que les inconnus ont incendié son véhicule.

La victime a été blessée aux mains et aux avant-bras et a été admise aux urgences du centre hospitalier de Nantes où elle s'est vue délivrer 5 jours d'ITT.

Les agresseurs ont pris la fuite avant l'arrivée du Peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (Psig). L'enquête a été confiée à la Compagnie de Chateaubriand.

Notre journaliste allonge sa brève par une mise en perspective très professionnelle. Il rappelle que le projet d'aéroport à Notre-Dame des Landes « est au cœur de vives polémiques et de violentes manifestations », quoique « porté par le premier ministre Jean-Marc Ayrault, ancien maire de Nantes », et souligne qu'« environ 500 personnes selon la police, 3.000 à 3.500 selon les organisateurs, se sont encore rassemblées samedi dernier à Rennes contre ce projet » - j'aime beaucoup cet « encore » !

Pris par l'urgence rédactionnelle - il a mal relu et laissé traîner un « » malencontreux dans son premier paragraphe -, Christophe Cornevin n'a pas eu le temps de prendre contact avec les opposants au grand projet du Grand Ouest. Il est d'ailleurs fort probable qu'ils ne figurent pas sur son carnet d'adresses. Aussi, pour faire bonne mesure journalistique, cite-t-il, un peu hors-sujet, une déclaration de monsieur Jean-Luc Mélenchon datant du samedi précédent - le samedi où il avait « encore » du monde dans la rue...

Cette garantie d'objectivité lui permet de conclure en ouvrant de nouvelles perspectives : 

Dès le 7 novembre dernier, six gendarmes ont été blessés sur le site dans des heurts avec des opposants au projet, selon un bilan de la préfecture de Loire-Atlantique. Les forces de l'ordre, qui intervenaient pour libérer une route des barricades qui y avaient été érigées, ont été attaquées par une « quarantaine d'assaillants particulièrement résolus ». Ils utilisaient « des bouteilles incendiaires, des frondes et des projectiles métalliques ».

La dépêche de l'AFP, qui devait paraître ensuite, et que j'ai trouvée sur Libération, amende sur quelques points essentiels le récit de Christophe Cornevin, preuve qu'il n'était pas vraiment en forme, ou que son informateur matinal n'était pas si bien informé que cela. J'ai pu noter, par exemple, qu'il n'avait pas parlé du bilinguisme affiché par les agresseurs, élément qui permet pourtant de consolider la fiction préfectorale d'une « minorité autonome, venue d’ailleurs, qui entretient l’insécurité sur le secteur de Notre-Dame des Landes »...

Car si l'enquête ne fait que débuter, les coupables sont déjà désignés.

Libération a cru bon de titrer son copicollage de dépêche AFP :

Notre-Dame-des-Landes : un agent de sécurité blessé par des opposants

Et ce matin, au cours du journal de Mickaël Thébault, j'ai entendu parler d'une « agression dont les responsables sont connus, disent les enquêteurs, une dizaine de militants anti-aéroport français et britanniques »...

Malgré sa médiocre qualité, cette image spectrale a été choisie 
pour dramatiser un article de Presse Océan.
(Photo : Conseil général de Loire-Atlantique.)

Aucun des médias que j'ai consultés n'a jugé bon de citer, même partiellement, le communiqué de presse des zadistes, mis en ligne dans la journée d'hier :

Nous apprenons aujourd’hui par la presse qu’un vigile aurait été agressé dans la nuit du 12 au 13 novembre par un groupe d’une vingtaine de personnes, devant le lieu-dit la Pointe. Parce que ce lieu était récemment encore occupé et qu’il a été muré depuis le début de la vague d’expulsions le mardi 16 octobre, la Préfecture s’est empressée de dénoncer une action des opposants. Elle en a profité pour ressortir son sempiternel discours de dissociation entre opposants historiques et nouveaux venus présumés violents.

Nous voulons rappeler que sur le terrain cette dissociation n’existe pas et que c’est toutes et tous ensemble que nous luttons contre ce projet d’aéroport. Nous voulons également rappeler que jusqu’ici toutes les actions de solidarité effectuées en lien avec la lutte de la ZAD ont été revendiquées. Ça n’a pas été le cas pour l’action de cette nuit. Pour nous il est donc impossible de nous prononcer dessus en l’état.

L’hypothèse d’une manipulation est pour nous envisageable, cette action tombant parfaitement pour détourner l’attention de ce qui reste l’essentiel : la préparation de la manifestation de ré-occupation du 17 novembre, et d’une manière générale l’amplification de la lutte contre le projet d’aéroport.

Je n'ai pas non plus trouvé la moindre amorce de réflexion sur la nature même de cette agression. Car, à moins de souscrire béatement aux interprétations des autorités, on peut se demander comment une telle action peut s'inscrire de manière cohérente dans la lutte menée jusqu'à présent par les opposants au grand projet d'aéroport inutile. Mon imagination, sur ce point, déclare forfait. En effet, il est assez clair, et cela depuis le début, que la logique zadiste conduit les résistant(e)s du bocage à s'installer, et bientôt se ré-installer, à construire, et bientôt reconstruire, dans les lieux promis au bétonnage et au bitumage afin de s'y opposer. Si leur attention s'était portée sur cette maison que le Conseil général de Loire-Atlantique a acquise pour la faire murer, il semble que cela aurait été pour la ré-ouvrir et la faire revivre - ce qui peut, à l'évidence, se faire sans démolir physiquement le vigile chargé de garder l'endroit.  

Comme la photo ci-dessus - le Conseil général devrait songer à former ses personnels aux arts de l'image -, les contours de cette affaire restent tout à fait flous. Je ne possède malheureusement pas de moyens d'éclairage suffisants pour dire s'il s'agit là d'un montage provocateur de quelques-uns ou d'un dérapage incontrôlable de quelques autres...

Ce flou a opportunément permis à la manipulation médiatique de se développer, attribuant la responsabilité de cette agression à tout un mouvement qui dérange, tout en en construisant une image détestable.

Monsieur Jean-Marc Ayrault a, aujourd'hui, profité d'une question posée au cours d'une conférence de presse donnée conjointement avec monsieur Nick Clegg, numéro deux du gouvernement britannique, pour confirmer la ligne d'interprétation générale :

Il est absolument inadmissible (...) que des forces ultra-minoritaires et violentes venues parfois de différents pays d'Europe s'opposent à un choix légal et parfaitement démocratique.

(On ne dit pas s'il s'exprimait en anglais...)

Plus pragmatique, monsieur Jacques Auxiette s'attache à montrer que le monde des opposant(e)s à l'aéroport est infréquentable, et il s'adresse fermement à ses pairs, les « responsables politiques » :

Nous basculons aujourd’hui dans une violence criminelle d’activistes radicaux et nous vivons une escalade intolérable, rendue possible par la caution apportée par des responsables politiques. En soutenant et en annonçant leur présence sur place, aux côtés des éléments les plus radicaux, ils laissent le champ libre à de tels agissements.

N'importe, pour la manifestation de ré-occupation, samedi prochain, Dominique Fresneau, que la presse présente comme un des « opposants historiques », a indiqué qu'il espérait plus de 10 000 personnes...

On comptera peut-être, parmi tous ces gens qui manifesteront « encore », quelques « responsables politiques ».

Sinon, on se consolera avec de vrai(e)s clowns amateur(e)s bourré(e)s de talents, qui se sont entraîné(e)s ce matin, et continueront demain et après-demain...

Par ailleurs, l'ACAB - Armée des Clowns Agités du Bocage - All Clowns Are Bastards - a adressé cet  

Ultimatum aux grands cons de ce monde  

Chers dictateurs refoulés, 
continuez à assouvir vos caprices, 
à épancher votre mégalomanie destructrice, 
piétinez les fleurs, les légumes, coupez les arbres, 
chassez les oiseaux, couvrez l’horizon de béton, persécutez la vie
 …et… 
cette petite merveille 
qui vous a donné la grâce d’exister
 s’autodétruira sous votre nez ! 

En octobre, le premier sinistre climatique a frappé Notre Drame des Glandes ; le cyclone Jean Marc Ayrault a balayé une 20aine d’habitations et fait tomber beaucoup d’arbres. Dans le sillage de la tempête, les vitres de nombreuses permanences PS ont volé en éclats. Nous tenons à témoigner toute notre solidarité à ces réfugiés politiques qui devront passer l’hiver dans les courants d’air ! N’oublions pas d’exprimer également notre reconnaissance aux socio-collabos d’EELVMH que la valeureuse imposture a propulsé.e.s au cœur de la tourmente parlementaire. Heureusement les velours de l’assemblée devraient les habiller pour l’hiver. Quel dévouement, quel sens du sacrifice ! Leur gloire sera de plus courte durée que le cataclysme capitaliste sur lequel illes surfent. Mais assez de discours, on est pas de la politicaille ! On a une vraie vie … à reconstruire ! Et pour recycler les élites parasites de la république, on a peut-être des vrais boulots enfin utiles à quelque chose… Les chefs de toutes espèces, serviront d’épouvantails à la poulaille ! Les autres on en fera des barricades. Et les écolos, vous aurez même le droit de toucher la terre pour de vrai ! (si vous ramenez vos petits drapeaux on a prévu des jeux rigolos !) Par contre étant donné le comportement déplorable de votre flicaille, vous leur direz qu’ils ne sont pas invités ni même autorisés à s’exhiber dans le paysage ! A moins qu’éventuellement certains d’entre eux se défroquent et créent un groupe affinitaire naturiste. Pour celles et ceux qui veulent planter des clous, des choux, jongler avec des cailloux, partager quelques bouffées de liberté, construire des cabanes, devenir cultivateureuses d’horizon…c’est par là que ça se passe !

Mode d’emploi pour construire une ZAD : D’abord il faut bien choisir la terre pour que ça prenne ; de préférence un beau bocage avec des forêts et un projet à la con qui plane au-dessus. Plein de fumiers costumés qui veulent tout améliorer avec leur engrais au progrès. Ajoutez un système capitaliste mort vivant qui vous propose une place de zombie en échange de votre vie. Pour que ça pousse bien : mélangez un brin d’espoir, de la sueur, de la joie, de l’amour et pour finir quelques pleurs de rage lacrymogènes … et recommencez !

C'est violent, non ?

9 commentaires:

  1. À ce propos, l'intervention de Françoise Verchère ce midi, sur Inter, était très intéressante :
    http://www.franceinter.fr/sons-actu/tous-les-sons/2012-11-14

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. C'est un parfait résumé de la situation, en effet.
      (Et le non-dit de la journaliste est éloquent, justement sur cette histoire d'agression...)

      Supprimer
  2. Rendons au maître des lieux ce qui lui appartient : je me suis permis de mettre un lien vers votre article sur twitter. L'info se diffuse, petit à petit....
    Merci, en tout cas, de contribuer à nous informer de manière impartiale.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si certain-es mentent sans vergogne et d'autres pas, l'information impartiale n'existe cependant pas. Faut seulement choisir son camp.

      Supprimer
    2. Je suis bien incapable de trancher la question de savoir si oui ou non, un énoncé peut être impartial, et dans quelles conditions.
      Mais, c'est exact, j'aurai pu et dû dire "de nous informer de façon moins biaisée".

      Supprimer
    3. Diantre, me v'là touitté !

      Merci... Autant que ça circule.

      Sur l'impartialité, Christine a un peu - on ne va pas dire "complètement" pour ne pas la flatter - raison.

      Mais je n'ai pas choisi mon camp : "historiques" ou zadistes, c'est ma famille ; et si je n'ai pas choisi, je m'y tiens.

      Supprimer
  3. Ah mais, où va-t-on vous dis-je !
    C’est signé, ça. C’est au moins des zultra-épiciers. Hein ? Non ?
    Mais que fait la DCiri ? Hein ? Quoi ?
    Z'étaient de sortie cette nuit-là ? Ah ? !

    Anne Honyme

    RépondreSupprimer
  4. Réponses
    1. A ma connaissance, relativement restreinte, X-UK n'était pas dans la région...

      Supprimer