"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

lundi 25 juin 2012

Le crime paie, mais si peu

Dans son Opéra de quat'sous - Die Dreigroschenoper, créé le 31 août 1928 à Berlin -, Bertold Brecht délègue à son personnage, le truand Mackie Messer, le soin de poser cette délicate question éthique :

Quel est le plus grand crime ? Braquer une banque ou en fonder une ?

On admettra qu'en des temps où la distinction entre ces deux types d'entrepreneurs a tendance à s'estomper, la réponse est rien moins qu'évidente...

Bien qu'ils se défendent d'entrer dans des considérations morales ou juridiques, trois professeurs d'économie britanniques - Barry Reilly, de l'Université du Sussex ; Neil Rickman et Robert Witt, de l'université du Surrey - viennent d'apporter une contribution décisive à la question en démontrant que braquer une banque est, plus qu'un crime, une erreur économique. Pour en arriver là, ils ont, nous dit Sophie Amsili, du Figaro, « établi ce qui est sûrement le premier modèle économique du braquage de banque », en prenant pour point départ le fait, indéniable, que « la criminalité est une activité économique comme une autre. Il y a des bénéfices, des pertes, des risques, et des rendements. Il y a aussi des intrants, le travail et le capital, et des coûts ».

Nos trois professeurs d'économie ont mis leurs résultats à disposition du public dans le numéro de juin de la revue Signifiance, publiée conjointement par The Royal Statistical Society et The American Statistical Association. Leur article est intitulé Robbing banks : Crime does pay - but not very much, mais la journaliste du Figaro préfère en rendre compte sous le titre Pourquoi braquer une banque n'est pas rentable... Elle a sans doute estimé plus prudent de ne pas laisser entendre que, dans le cas des cambriolages bancaires, le crime paie, effectivement, mais pas beaucoup. Les lecteurs auraient pu craindre que les salauds de pauvres, ces gagne-petit, ne prennent cela pour un encouragement à tenter certaines pratiques délictueuses, voire criminelles, ne rapportant guère moins que la galère des petits boulots habituels.

Cet article est cependant bien utile si l'on veut éviter de lire in extenso la filandreuse prose, en anglais, de nos trois chercheurs qui, n'ayant pas grand chose à dire, tirent manifestement à la ligne pour arriver à meubler leurs cinq pages. On se réjouit, certes, qu'ils aient pu accéder aux données exclusives de la British Bankers' Association pour établir, avec toute la rigueur scientifique qui s'impose, le revenu moyen d'un braquage d'agence bancaire. Mais cette autorisation ne leur ayant été accordée que sous de strictes conditions de confidentialité, les détails des calculs manquent, qui auraient pu faire l'objet, on le suppose, d'une bonne page de tableaux judicieusement commentés. Qu'importe, les auteurs se rattrapent, par exemple, en justifiant la quantification pifométrique de la perte financière représentée par la sanction judiciaire - en moyenne, trois ans de prison - infligée par la justice britannique aux audacieux entrepreneurs qui ont raté leur coup. Ils occupent également l'espace qui leur a été généreusement accordé en insérant un bel encadré contenant les astucieuses « équations » utilisées. Les statisticiens amateurs et les amateurs de statistiques n'y trouveront que trois ou quatre formules usuelles, d'une très grande platitude, qui ne m'ont donné aucune envie de m'y remettre...

Pour adoucir l'aridité de leur papier, nos trois professeurs d'économie l'ont agrémenté de plaisantes illustrations. Ils ont notamment choisi de reproduire la très célèbre photographie de Bonnie Parker et Clyde Barrow - « better known as Bonnie and Clyde », précisent-ils - prise par l'un de leurs comparses entre 1932 et 1934, tout en précisant que ces deux gangsters de légende ne sont jamais devenus riches.

Et pour cause...

Finalement, selon le Figaro :

Loin de certains scénarios hollywoodiens, leur conclusion est sans appel : « Le rendement d'un braquage de banque moyen est, honnêtement, très mauvais. »

Les auteurs, eux, terminent leur article par ces mots :

The lesson of which would seem to be : successful criminals study econometrics. Statistics can help in all walks of life.

(Il semble que la leçon à tirer de ceci est que les truands qui réussissent étudient l'économétrie. Les statistiques sont utiles dans n'importe quelles circonstances de la vie.)

Il est possible que ce soit de l'humour britannique.

Ou un dépassement brechtien de Brecht.

6 commentaires:

  1. Disons qu'il est moins risqué de piquer de l'argent quand on est le patron de la banque vu qu'on peut le faire très légalement, forcément le rendement est meilleur. Évidemment, faut éviter d'en faire trop sinon on se retrouve en taule comme un vulgaire Madoff.

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  2. Pour le romantisme échevelé, j'ai tout de même un faible pour Bonnie & Clyde...

    (Un banquier reste un banquier.)

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    1. Je suis plutôt pragmatique, donc je penche plutôt pour Bonnie & Clyde qui sont beaucoup moins nocifs pour l'ensemble du corps social et l'économie que des banquiers comme on en a pu s'en rendre compte ces derniers temps.

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    2. D'autres pragmatiques me semblent penser l'inverse...

      Et ils sont au pouvoir, souvent.

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  3. Pragmatiques, romantiques, bienheureux transfuges, tant qu'on ne perd pas de vue l'élégance...

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