"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

mardi 28 août 2012

La reconquête

Samedi dernier, au cours de l'université d'été du parti qui se dit « socialiste », était organisée une « plénière » sur le thème : Reconquérir les catégories populaires.

(L'emploi du vocable  « catégorie » indique sans doute que l’avènement de la société sans classes est en bonne voie.)

Pour galvaniser les troupes en vue de cette nécessaire reconquête - car c'est trop ballot pour des « socialistes » d'avoir perdu les « catégories populaires » -, deux ministres étaient présents, monsieur Benoît Hamon, pour la décoration, et monsieur Manuel Valls, pour l'ovation.

Qu'on lui accorda généreusement, et debout, selon la presse...

Pour mériter ce triomphe, l'orateur dut, nous dit-on, « littéralement mouill[er] sa chemise » dans la touffeur estivale de La Rochelle. Pour le reste et sur le fond, son discours n'a pas exigé des efforts intellectuels surhumains. Il s'est contenté de broder sur ses trois axes favoris, la « Nation », la « République » et l'« Ordre Républicain » - ce dernier se confondant, pour l'essentiel avec la « Sécurité » -, en proclamant avec force que toutes ces estimables notions un peu creuses sont aussi - et peut-être même surtout - de gauche.

En somme, pour « reconquérir les catégories populaires », il suffira que le parti qui se dit « socialiste » parte à la reconquête de cette logorrhée nationaliste, républicaniste et sécuritaire que la droite et l'extrême-droite lui auraient volées avec le cynisme qu'on leur connaît...
Et, à l'heure du thé ou du café,
on tentera aussi de reprendre Jaurès à Henri Guaino...
(Mug en vente à la boutique du PS,
dans la gamme Bidules.)

Il ne nous reste qu'à attendre quelque peu, et les experts de la chose politique ne manqueront pas de venir nous expliquer, fort didactiquement, que le cynisme est une valeur positive de gauche...

Pour le moment, ce cynisme consiste essentiellement à traiter comme des chiens errants des gens appartenant à une « catégorie » qui, plutôt impopulaire au regard des autres, a été explicitement désignée comme posant problème en tant que telle. Mais - et c'est là que cela se gauchit - on leur appliquera ce traitement pour leur plus grand bien, et on les jettera sur les routes et dans les rues pour les sauver de l'emprise des « réseaux mafieux » qui les exploitent ou pour les écarter des conditions de vie insalubres et/ou « intolérables » qu'ils se font...

C'est une question d'assistance à personnes en danger, nous a-t-on expliqué...

Sur le terrain, la reconquête des friches envahies par les « campements illicites » se poursuit à un rythme accéléré qui aurait de quoi faire pâlir d'envie monsieur Hortefeux et rougir de jalousie monsieur Guéant. Leur successeur, qui se targue d'en avoir terminé avec la honteuse « politique du chiffre », doit les faire rêver, eux qui aimaient tant les comptes ronds : il va bientôt arriver à faire procéder à - au moins - un « démantèlement » par jour, et sous les applaudissements du public.

Aujourd'hui à Saint-Priest, hier à Évry, l'« Ordre Républicain » a progressé sur la ligne de front...

(Et le Front en question semble plus National que Populaire.)

On avait cru comprendre que notre très sécuritaire ministre ferait tout pour être couvert, lors de ces expulsions, par une décision de justice. On avait mal compris.

Ce ne fut pas le cas à Évry, où le « démantèlement » a été mis en œuvre avant que la justice ne puisse trancher. Passant, par hasard probablement, sur les ondes d'Europe 1, monsieur Manuel Valls a pu l'expliquer avec un réel talent pédagogique :

« La politique que nous avons fixée, c’est d'évacuer des campements quand il y a une décision de justice (ce qui n'était pas le cas à Évry lundi) (*) ou quand la situation sanitaire en matière de sécurité est insupportable », a rappelé le ministre. Selon lui, à Évry, « c’est le cas, avec des baraquements sur le bord de la ligne RER », a-t-il précisé.

Maintenant, que les mal-comprenants entendent bien : il faut avant tout les protéger, ces pauvres gens, y compris, si cela se trouve, contre les décisions de justice qui pourraient être favorables à leur maintien dans les lieux.

Être bien protégé, c'est important...
(Condoms en vente à la boutique du PS,
dans la gamme PS.)



(*) Je ne sais si la parenthèse est du ministre ou de la rédaction... Comme je n'ai pas envie d'écouter le prononcé, je laisse comme ça...

6 commentaires:

  1. Imaginons le cauchemar d'une nuit de marketing électoral à rencontres avinées autour des «gammes» PS : d'abord la capote, puis [black-out], puis, face à l'autre qui s'incruste ou ne sait pas comment fuir, le café blême dans le mug «à collectionner et utiliser !», prescrit fermement la boutique (pour le condom, ce n'est pas précisé).

    C'est terrifiant de s'imaginer ainsi happé par des objets tous armés de mantras griffus — et c'est ce que nous font aussi les ordres et les devises de M. Valls, matraquables si besoin par des «bidules» qu'il suffirait d'usiner aux couleurs du PS avec une citation à poigne pour qu'ils figurent dans la «gamme» du même nom.

    Tous les jours, c'est le même matin d'après la même présidentielle, avec la même logorrhée aigre, le fatras de la même camelote. Bref, le changement, c'est...




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  2. Avec moins de talent que toi, j'avais songé à une courte fiction sentimentale en territoire militant...

    Mais vivre tous les jours le même matin, ça finit par user l'imagination.

    Le dégout est une passion très triste, qui n'a rien de stimulant...

    (Mais ça passera, ça passera.)

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    1. Talent, non. C'est juste l'exigence de ce blog, qui donne beaucoup. Je ne doute pas que mes efforts patauds pour donner en retour soient parfois bien lourds.

      Oui, le dégoût passe ; nous avons mieux à faire : comme dit Magris, même en deuil et en rage (de dents), nous avons à être là, à dire oui au monde d'une façon ou d'une autre.

      Hop ! Du vin, des mûres !

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    2. Aucune lourdeur à redouter de ta part, PièceDé...

      (Et si parfois je reste sans voix, c'est que je dérive voluptueusement dans la bibliographie suggérée.)

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  3. On ne peut décidément s’empêcher de faire le parallèlle avec un autre gouvernement qui, voici plus d’un demi-siècle, faisait montre d’un nationalisme virulent, tout en promouvant activement la langue et les coutumes d’un « libérateur » vert-de-gris...

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    1. Peut-être, mais on peut se contenter de souligner la continuité avec un autre gouvernement qui s'est mis en place il y a une demi-décennie...

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