"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

mercredi 1 août 2012

Un mec bien

Récemment, en voulant lire autre chose que les dernières nouvelles sur l'ouverture des jeux olympiques, j'ai fait une rencontre, au bout de quelques minutes d'errance et après une demi-douzaine de clics désabusés, avec « l'homme le plus laid du monde »... J'ai bien sûr été très heureux d'apprendre, en lisant l'articulet de Jérôme Hourdeaux, sur le site du Nouvel Observateur - c'était ça ou Rue 89... -, que

L’homme le plus laid du monde est un mec bien.

C'était le titre.

Bien propre à consoler les membres de la confrérie des sales gueules, dont je fais solidairement partie.

Il m'a fallu, à la suite de cette découverte, revoir quelques unes de mes idées reçues. Pour moi, en effet, « l'homme le plus laid du monde » était une figure d'encre et de papier dans un roman d'Enrique Vila-Matas, Le mal de Montano - El Mal de Montano, Editoria Anagrama, 2003, traduit par André Gabastou, la même année, pour Christian Bourgois éditeur. L'auteur a indiqué que, pour créer son personnage, qu'il a nommé Tongoy, il s'était « inspiré d'un personnage réel, un acteur français d'origine chilienne », dans lequel il est aisé de reconnaître l'un des plus talentueux comédiens de la scène française, souvent condamné à tenir des rôles d'affreux dans les nanars de notre cinématographe, le grand Daniel Emilfork.

Je ne sais pas s'il aurait aimé que l'on dise de lui qu'il était un « mec bien ». Il me semble même qu'il n'aurait pas trop apprécié l'idée qu'il est quasiment nécessaire d'avoir l'air, au moral, d'un bon gâs ben sympathique lorsque la nature, au physique, vous a fabriqué laid comme un pou...

Daniel Emilfork, l'homme qui rêvait de se réveiller mort.
Ça lui est arrivé, finalement, le 17 octobre 2006.
(Photos : François-Marie Banier.)

Les simagrées de ce brave type de Chester Lee Ridens ne parvenant pas à me désennuyer, je continuai à dériver sur mon erre... A quelques encablures de là, et cette fois sur le site de Rue 89 - c'était ça ou le Nouvel Obs... -, je tombai sur un sujet encore plus ancien : un compte-rendu, par Émilie Brouze, d'une émission de France Culture où l'on pouvait suivre la dernière journée de monsieur Frédéric Mitterrand en costard de ministre de la Culture et de la Communication.

La journaliste trouve « ce documentaire audio, surréaliste et rigolo », mais le lecteur-auditeur peut aussi bien, et plus justement sans doute, le juger affligeant...

Pour ne citer qu'un exemple des opinions exprimées ce jour-là par le déjà ancien ministre, tout en restant sur le terrain abordé précédemment, on peut retranscrire les propos du Mitterrand hors service sur le « physique de beau ténébreux » de monsieur Manuel Valls :

Il est beau gosse quand même Valls. C’est peut-être pour ça qu’il avait fait des commentaires un peu acerbes sur mon dernier livre, La Mauvaise Vie. Il devait se sentir un petit peu, je ne sais pas, menacé...

(Sur la première version de ceci, Émilie Brouze avait transcrit « bogosse », sans doute pour accentuer le côté « surréaliste et rigolo »...)

Nous laisserons résolument de côté la question de savoir si ces deux personnages sont des « mecs bien » puisque, s'agissant de « beaux gosses » - l'un reconnu par l'autre qui s'y croit -, elle est de moindre importance...

Et voici le grand séducteur quittant le ministère
sans ses petites roues à l'arrière...
(Photo : Thomas Samson / AFP.)

Cependant, il n'est pas impossible qu'un de ces jours, monsieur Manuel Valls, qui tient actuellement le rôle de ministre de l'Intérieur, et qui, à ce titre, est en charge (du contrôle) de l'immigration, reçoive, un de ces jours, un vrai diplôme de « mec bien » décerné par l'amicale de ses prédécesseurs du régime sarkozien.

Il semble sur la bonne voie, laissant se développer comme devant, quoi qu'il en dise ou veuille laisser paraître, des pratiques bien établies dans leur indignité.

L'histoire de Kamel Azzaz, exemplaire de ce point de vue, a été peu divulguée par la presse vacancière et olympique. Je n'ai trouvé, lors de mes pérégrinations sur la toile, qu'un très court article d'Aziz Zemouri, paru sur le site du Point, et divers communiqués sur les sites du CSP 59 et du RESF... Cela a dû sembler trop mince aux professionnels de l'information. 

Le dimanche 22 juillet 2012, Kamel Azzaz de nationalité Algérienne, lillois depuis 2007, fait du vélo rue de Lannoy à Lille, avec sa fille Lyliane. Des policiers, en civil, jaillissent d’une voiture pour l’interpeller. Ils l’emmèneront à la PAF sans se préoccuper de Lyliane sa fille apeurée et scandalisée, qui sera confiée à un monsieur qui passait par là et semblait connaitre Kamel.

Lit-on dans un premier communiqué.

(Et déjà, on s'interroge sur la légèreté professionnelle de policiers abandonnant une fillette « à un monsieur qui passait par là et semblait connaitre » son père, mais on se dit qu'il y a peut-être un peu d'exagération dans ce récit et qu'après tout, les policiers ont dû estimer qu'ils confiaient la petite à un « mec bien », car ils ont l’œil pour ça...)

Le lundi 23 juillet, Kamel est transféré au CRA de Lesquin après une garde à vue de 24h.

(Et l'on s'en étonne, car on nous a assez répété que la mise en garde à vue pour défaut de titre de séjour ou de carte de résidence, c'était effifi-ennini-fi-ni...)

Son avocat ayant déposé un recours, Kamel est convoqué au Tribunal administratif de Lille le vendredi 27 juillet à 9 heures. Il ne peut s'y rendre. Dans la nuit précédente - 3 h 30 du matin, nous dit-on - Kamel est embarqué pour l’aéroport de Roissy. Sa famille a réussi à rejoindre Roissy, mais ne parviendra pas à le voir... Dans l’avion d’Air France, des passagers, « choqués et indignés par la violence de l’expulsion et les agissements des policiers envers Kamel », se mobilisent et le commandant de bord prend la décision de débarquer Kamel et son escorte.

Pendant ce temps, en son absence, le Tribunal administratif rejette sa requête.

Reconduit au CRA de Lesquin, Kamel doit être présenté au Juge des Libertés le dimanche suivant.

A moins que l'administration n'arrive à l'expulser avant.

« Tu partiras de toute façon, même par bateau ! » 

Lui auraient dit des policiers...

Pour arriver à leurs fins, dans la nuit du vendredi au samedi, les accompagnateurs de Kamel ne prendront pas la peine, semble-t-il, de le réveiller. Il n'émergera de son sommeil que dans l'avion faisant route vers Alger. La veille au soir, il s'était plaint de douleurs à l'épaule et un médecin lui avait administré un analgésique... Il en existe, on le sait, de très puissants.

Le samedi, sans savoir que la seconde tentative d'expulsion a réussi, la petite fille et sa mère se sont rendues au CRA de Lesquin pour voir Kamel.

Il était sans doute déjà arrivé à Alger.

La gamine, choquée, a craqué comme peuvent craquer les enfants de 11 ans. Elle a été hospitalisée au CHR de Lille, et y est peut-être encore...


PS : J'ai reçu hier un courriel m'annonçant que le CSP 59, le MRAP, la LDH et le RESF organisaient, afin de poser quelques questions concernant cette affaire, une conférence de presse, le vendredi 3 août, à 11 heures, à la Maison de l'Immigration, 42 rue Bernos, à Lille.

PPS : Une pétition a été mise en ligne, à l'initiative du CSP 59 et du RESF, et en attente de la signature de la LDH et du MRAP, pour demander le retour immédiat de Kamel. 

2 commentaires:

  1. Daniel Emilfork (en français : Daniel Émilefourchette) ne me paraît pas si laid que ses postures. L'un de mes amants exquis portait en pleine figure ses trous de narines béants d'ancien boxeur. Un «mec bien», s'il n'avait eu la faiblesse (oui) carnivore (non) de s'afficher à mon bras chez les biffins de Montreuil en pompant ma beauté rayonnante (si si).

    Pendant ce temps-là, les gueules véritablement sales à l'i/Intérieur continuent à dévorer de la merde, cette chose en laquelle ils transforment autrui comme ils veulent pour l'accuser ensuite d'être si laid.

    Étant aux prises avec une meute agressive de peigne-cul — Grand Robert : «personne médiocre (socialement, moralement, intellectuellement...) ; homme de peu, minable» —, je n'ai pas eu le loisir de lire tous les billets récents de ce blog, ni, surtout, de commenter les deux précédents, qui ont fait pousser à mon cœur de lexicographe, à la première lecture, un doux «ah tiens, lui aussi». On ne perd rien pour attendre.

    (Il y a aussi Claudio Magris, découvert grâce à ce blog, et d'un même grand secours — ah tiens, lui aussi.)

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    1. Je comprends maintenant pourquoi les statistiques du blog étaient tombées à zéro...

      Aussi ne puis-je que te souhaiter désormais beaucoup de loisirs.

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