"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

jeudi 16 août 2012

Rebonds ministériels

Avant d'aller prendre un bain de foule dans les faubourgs d'Amiens, monsieur Manuel Valls a eu le temps de boucler sa demi-page destinée aux Rebonds du journal Libération.

Ce texte a pour titre

Campements illicites : le laisser-faire ne résout rien

Il doit compter dans les 5500 signes typographiques, espaces compris, et il n'aurait pu nous être touitté sans rompre la belle continuité de la pensée qui s'y exprime.

Numéro 9722 de Libération avant démantèlement.

Pas très nouvelle, la pensée, et le morceau de prose de notre auteur pourrait servir de support pour un exercice de littérature politicarde comparée, dans le genre du jeu des sept différences, ou moins.

Une précieuse indication est d'ailleurs donnée aux étudiant(e)s qui auraient en main la version papier du quotidien - oui, je l'ai acheté, parce que je n'ai plus rien pour lancer le barbecue. On peut y lire, imprimé en rouge et gras, empiétant avec élégance sur la première colonne :

Je l’affirme avec force : aucune 
politique publique ne sera focalisée 
sur tel ou tel groupe culturel.

Belle déclaration, qui veut justement marquer la différence avec le discours sarkozien, et qui se trouve renforcée, au cœur du texte, par une preuve que l'auteur voudrait éloquente :

Je l'affirme avec force. aucune politique publique ne sera focalisée sur tel ou tel groupe culturel. Par conséquent, il n'y a pas de dispositif national de pilotage chiffré. Je ne désignerai pas de coupables uniques des maux de notre société, les uns ne seront pas montés contre les autres.

Parmi les « coupables », nécessairement multiples, « des maux de notre société », figureront - mais ce n'est qu'un de ces hasards que l'histoire ourdit à l'insu des ministres de l'Intérieur - les occupants des « campements illicites », qui se trouvent, la plupart du temps, être des membres de « minorités roms d'Europe de l'Est » - mais ce n'est qu'un hasard etc. La tribune de monsieur Manuel Valls ne parle que des Rroms, c'est l'évidence, mais le mot « rom » n'y est employé, parcimonieusement, que deux fois...

La liste des raisons conduisant à « démanteler » les « campements illicites » est, pour l'essentiel, la même pour Manuel Valls que pour Brice Hortefeux et Claude Guéant. Les prétendues études ministérielles menées à la demande de ces deux derniers, que la presse, à commencer par Le Figaro souvent premier informé, a largement répandues auprès du public, lui sont d'ailleurs d'un grand secours : les griefs anti-Rroms sont assez connus pour que l'actuel ministre puisse se contenter de quelques allusions pour ceux qui veulent bien entendre. Il y en aura beaucoup. L'opinion est chaude et démarre au quart de tour - les commentaires des lecteurs en témoignent, sans parler des sondages IFOP commandités par ceux qui veulent faire souffler « un vent nouveau sur l'info ».

Depuis des décennies, le principal talent de notre nouveau ministre de l'Intérieur a été de faire croire qu'il était un homme de gauche. Il aurait même, dit-on, réussi à bluffer, sur ce point, quelques « camarades » un peu sincères qui survivraient au PS. On pourra noter avec quelle subtilité sont introduites quelques nuances humanistes dans ses propos. On y retrouve, bien sûr, le souci de « la préservation des conditions du vivre ensemble », et surtout « aux abords de quartiers populaires déjà en proie à de nombreuses difficultés ». S'y ajoute peut-être la thématique biopolitique de santé et salubrité publiques, qui me semble avoir été moins développée par les penseurs du quinquennat précédent - je peux me tromper...

Mais à ceci près ?

On peut observer que la fort classique dénonciation des agissements des mafieux - « organisations criminelles ou certains clans familiaux » - qui « organisent l'exploitation de la misère et la mise en coupe réglée d'une partie de ces migrants, les contraignant à des activités délinquantes dont ils tirent des profits réinvestis à l'étranger », s'accompagne d'un très léger frémissement d'indignation humanitaire, un peu mieux mis en scène mais aussi peu convaincant que celui qui animait monsieur Guéant en abordant ces sujets. Et l'on ne comprend pas mieux en quoi le « démantèlement » des « campements illicites », suivi de la dispersion de leurs occupants et/ou de leur expulsion vers leur pays d'origine, permet de lutter avec quelque efficacité contre ces « organisations criminelles ou (...) clans familiaux ».

Malgré la virtuosité de sa rhétorique allusive, monsieur Manuel Valls, en copicollant, de la main gauche - qu'il a fort adroite (oui) -, l'argumentaire de ses valeureux prédécesseurs, désigne bien, tout comme eux, la présence sur notre sol d'un certain « groupe culturel », rétif à sa nécessaire « intégration »,  comme un problème réclamant solution. La méthode, consistant à réunir en faisceau diverses questions touchant l'ordre public ou le fameux « vivre ensemble », est identique.

On oublie trop souvent que c'est celle-là même qui est à la base de la xénophobie d’État...


PS : Un dernier rebond :

A l'aube de ce jour, monsieur Valls est venu faire de la pédagogie sur les ondes de Franc Inter. Mon Figaro préféré en a tiré une brève, allongée depuis, annonçant :

Le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, présidera "la semaine prochaine" une réunion interministérielle sur les Roms, où sera évoquée la levée des mesures limitant leur accès au marché du travail, a annoncé aujourd'hui sur France Inter le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls. "Un certain nombre de pistes de travail seront annoncées" à l'issue de cette réunion et la levée des mesures transitoires qui limitent actuellement l'accès des Roms au marché du travail "peut être une des solutions", a ajouté le ministre.

 Les « démantèlements » ne seraient donc pas LA solution à ce « problème » artificiellement posé ?

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