"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

dimanche 28 octobre 2012

La dégaine du voisin excité

Dans la mise en scène du grand déballage raciste et xénophobe qui se prépare, le personnage du voisin excédé occupe un rôle secondaire, souvent anonyme, mais il tient une place essentielle. Pas nécessairement bien de chez nous, mais en tout cas se disant chez lui, il attire sur sa bonne bouille d'abruti une certaine sympathie. On peut se souvenir que monsieur Jacques Chirac, à une époque où il était censé avoir encore toute sa tête, lui avait adressé, d'Orléans, un clin d’œil qui est demeuré comme emblématique de nos conceptions de demeurés. C'était le 19 juin 1991, et le futur président avait dit, devant 1 300 militants et sympathisants du Rassemblement pour la République (RPR) :

Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte-d'or où je me promenais avec Alain Juppé il y a trois ou quatre jours, qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler ! [applaudissements nourris] Si vous ajoutez à cela le bruit et l'odeur [rires nourris], eh bien le travailleur français sur le palier devient fou. Et il faut le comprendre, si vous y étiez, vous auriez la même réaction. Et ce n'est pas être raciste que de dire cela.

(Verbatim de Wikipedia. Se trouve, pour l'essentiel, en ligne sur le site de l'Ina, dans la série Phrases cultes (sic).)

On remarquera que le « travailleur français » de Jacques Chirac était un angélique : simplement excédé à blanc, il se contentait de devenir fou...

Il semble que, depuis cette époque, la compréhension des politiques pour ce malheureux voisin excédé ait fait de larges progrès. On peut désormais, sans la cautionner mais sans la condamner non plus, comprendre son exaspération, en fermant les yeux sur le fait qu'elle s'accompagne parfois de menaces explicitées par des accessoires tels que gourdins, bidons d'essence...

Jacques Chirac, rempart contre l'extrémisme de droite,
dans son imitation de Coluche à Orléans, en 1991.

Généralement, les prières ne font pas beaucoup de bruit et leur odeur n'est perceptible, dit-on, que par la divinité à qui on les adresse. Elles sont cependant peu appréciées, depuis quelque temps, par les riverains qui, s'étant découverts des sentiments d'une laïcité irréprochable et non négociable, redoutent l'écroulement des bases chrétiennes de leur prétendue civilisation.

Le mouvement d'opposition aux prières de rue a pris une grande ampleur dans ce même quartier de la Goutte-d'or où jadis Jacques Chirac aimait jouer au touriste sociologique en compagnie d'Alain Juppé. Les autorités ont non seulement compris ce mouvement mais encore l'ont accompagné de toutes les forces à leur disposition en matière de réglementation.

Parallèlement, un peu partout en France, d'autres voisins, qui prévoyaient ne pas pouvoir supporter la présence d'une mosquée à proximité de leur chez eux, ont multiplié les protestations, et bien sûr les recours juridiques, afin d'éviter cet inconvénient à leur environnement.

A Annecy, la mosquée du centre-ville date de 1978 et ne peut accueillir que 80 personnes, alors que la prière du vendredi en réunit environ 200. Un projet de construction d'un nouveau lieu de culte avait été accepté par la mairie, mais il s'est heurté à l'opposition d'une vingtaine de commerçants riverains, assez déterminée pour amener le dossier devant la justice, où il est en attente depuis des mois. Les musulmans d'Annecy, qui ont longtemps et par tous temps prié dehors, louent chaque vendredi une salle de réception avec parking privé, située dans la zone industrielle de Vovray, sur la commune de Seynod. Les 500 personnes qui s'y trouvaient vendredi matin, à l'occasion de la fête de l'Aïd, y étaient tout de même un peu à l'étroit...

Ce qui s'est passé à leur sortie a été brièvement relaté par un flash sur le site d'Europe 1 :

Un commerçant de 50 ans brandissant un fusil à pompe a insulté vendredi matin des musulmans venus prier à la mosquée de Seynod, près d'Annecy (Haute-Savoie), au premier jour de l'Aïd Al-Adha, la fête du sacrifice célébrée par les musulmans, a-t-on appris auprès du parquet.

Propriétaire d'une casse automobile adjacente à la mosquée, l'homme reprochait aux fidèles d'occuper deux places de parking qui lui étaient réservées. Aucun coup de feu n'a été tiré. Placé en garde à vue, il a d'abord nié avoir brandi un fusil à pompe, parlant d'un gourdin muni de clous.

Sur le site de la télé régionale 3 Alpes, on précisait :

Le commerçant n'a pas tiré, mais devra répondre de "menaces avec armes et injures à caractère racial". Une perquisition devait être effectuée à son domicile.

On trouve davantage de détails dans l'article d'Elsa Fayner, sur Rue 89, qui rend compte de cette affaire, donne le témoignage du porte-parole de l'association qui gère la mosquée et ne se contente pas de réécrire la laconique version du parquet.

Les médias n'ayant pas jugé pertinent de reprendre cette histoire, elle n'aura donc pas fait beaucoup de bruit...

En revanche, on peut dire qu'il s'en dégage une certaine odeur...

2 commentaires:

  1. le bruit (on peut même dire la fureur) et les odeurs nauséabondes de la droite extrème ! Pouah !

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    1. Ah, ça se sent aussi chez vous...

      Ce n'est pas que ça me rassure, mais je me sens moins seul.

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