"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

jeudi 11 octobre 2012

Plus c'est gros..., première rallonge

Comme son premier papier sur les travaux de Robert Lynn avait été un succès - il a figuré en tête des articles les + vus, et il a été cité ici-même -, Quentin Girard a cru possible de nous en offrir une rallonge dans le numéro du 9 octobre du quotidien Libération. Il avait cette fois - enfin ! - trouvé un titre adapté à la beaufitude de second degré de ses lecteurs :

Pénis : une étude mâle biaisée 

(Et de rire...)

Cette illustration, au moins, nous aura été épargnée.
(Libé a choisi quelque chose de plus distancié.)

Ce second article est complété par un entretien avec le docteur Ronald Virag, généralement présenté comme le pionnier de l'andrologie, dont le cabinet, nous dit son site, « est situé dans le 8ème arrondissement de Paris en face de l'entrée principale de l'Elysée » - on ne peut donc pas se tromper. Cet éminent spécialiste, « qui dit avoir vu "15 000 verges dans [s]a vie" », se veut rassurant, comme il se doit dans ces occasions-là, et n'envisage « une chirurgie de reconstruction » que dans les cas extrêmes.

Le texticule de Quentin Girard, simple variation sur la paillarde intitulée L'invalide à la pine de bois, n'ajoute pas grand chose aux remarques qu'il avait déjà faites. Au contraire. Son premier article mettait en évidence l'imposture de Robert Lynn se fournissant en données pipotées sur une page internet au contenu invérifiable, et indiquait clairement que cette manipulation avait pour objectif de produire une confirmation des théories racialistes de J. Philippe Rushton. Le second rappelle ces faits, sans plus, et surtout sans chercher à aller voir plus loin que le bout de la longueur d'un zizi moyen.

Or, dans un pays où il est manifeste que se ravive la tentation raciste, où certains « républicains » autoproclamés « font rimer socialisme avec racisme » - pour reprendre la juste expression de Philippe Alain sur son blogue -, il n'est pas impossible que ces théories fassent un retour parmi nous.

Autant savoir ce qu'elles sont.

 Image d'un temps que l'on croit révolu...
... mais tout le monde peut se tromper.


Il semble que, pour les tenants de ces théories racialistes, la répartition de l'espèce humaine en différentes races ne fasse aucun doute. C'est, à les entendre, une simple observation de bon sens ou un fait de nature non réfutable. Cela ne les empêche pas de passer une bonne partie de leur temps de recherche à aligner ce qu'ils présentent comme des preuves de leurs (pré)conceptions.

Au départ, leur démarche peut se réclamer d'une très ancienne pratique de la méthodologie scientifique, qui consiste à opérer des regroupements dans l'ensemble des objets d'étude, de manière à en obtenir une classification. Ils oublient, cependant, qu'une classification n'a d'intérêt que si elle permet d'enrichir les connaissances que l'on peut avoir de l'ensemble ainsi classifié. Dans le cas de la répartition en groupes raciaux, ce point est bien discutable... 

Pour transformer une classification en un véritable classement  hiérarchisé, il suffit d'y ajouter quelques préjugés. On trouve de ce glissement d'assez nombreux exemples dans l'histoire des sciences biologiques et autres. La plupart du temps, les scientifiques ont été amenés à corriger ces dérives ; seul le racialisme a résisté à ces efforts d'honnêteté intellectuelle. C'est sans doute parce qu'il se fonde essentiellement sur la non pertinence d'un classement posé a priori mais voulant se faire passer pour une classification.

Classement racial selon J. Philippe Rushton.
Extrait de son Race, évolution et comportement.

Le professeur J. Philippe Rushton distingue, comme on le voit, trois races humaines, qu'il a, curieusement, choisi de nommer de manière hétérogène par deux couleurs et une origine géographique. Son principal titre de gloire, dans la famille des savants racialistes, est d'avoir développé la « théorie r–K de l'histoire de vie » - r–K life history theory -, celle-là même que l'article de Robert Lynn prétendait confirmer. Il s'en fait le propagandiste dans l'ouvrage de vulgarisation Race, évolution et comportement dont la seconde édition, spéciale et abrégée, est maintenue en ligne par le Charles Darwin Research Institute, qui semble bien dévoué à cette cause.

Rushton reconnaît qu'il n'est pas l'inventeur de cette théorie r–K, due à un biologiste de l'université de Harvard, Edward Osborne Wilson, qui l'aurait « utilisée pour expliquer les changements de population chez les plantes et les animaux ». Notre auteur, lui, revendique de l'avoir, en toute simplicité, « appliquée aux races humaines »...

Et de nous expliquer ce qu'il en a retenu :

Une histoire de vie est un groupe de traits génétiquement organisés qui ont évolué ensemble pour répondre aux nécessités de la vie -- survie, croissance, et reproduction. Pour ce dont nous avons besoin, r est un terme de l'équation de Wilson qui désigne le taux naturel de reproduction (le nombre de descendants). Le symbole K représente la quantité de soins que les parents prodiguent pour garantir la survie de leur progéniture. Les plantes et les animaux ont différentes stratégies d'histoire de vie. Certains sont plus r et d'autres relativement plus K.

Les stratégies r et K diffèrent par le nombre d’œufs produits. La stratégie r est analogue à un tir à la mitrailleuse. Il y a tellement de coups qu'il y en aura bien un pour frapper la cible. Les animaux à stratégie r produisent beaucoup d'ovules et de spermatozoïdes, s'accouplent souvent et ont une progéniture nombreuse. À l'inverse, les adeptes de la stratégie K sont comme des tireurs isolés. Ils consacrent temps et efforts à quelques tirs bien placés. Ils donnent à leur progéniture beaucoup de soins. Ils travaillent ensemble pour obtenir de la nourriture et un abri, ils aident leurs semblables et ont des systèmes sociaux complexes. C'est pourquoi les animaux à stratégie K ont besoin d'un système nerveux plus complexe et d'un plus gros cerveau, mais produisent moins d'ovules et de
spermatozoïdes.


Dans cette lecture, on retrouve avec plaisir la niaiserie pédagogique de certains darwiniens qui vous présentent les espèces comme les petits personnages des jeux vidéos primitifs du siècle dernier, courant d'une stratégie à l'autre pour gagner des points de vie en faisant bip-bip. Mais au-delà de cet amusement passager, on voit assez où tout cela peut mener.

La scala naturæ, de l'huitre au gorille.

J'ignore si les travaux de Wilson aboutissent à cette énième version de la grande chaîne des êtres que les sciences biologiques ont héritée de la philosophie scolastique, mais c'est ainsi que, de manière assez explicite,  Rushton voit les choses. C'est bien commode puisqu'il ne lui reste plus qu'à ajouter trois maillons, les Noirs, les Blancs et les Orientaux, dans l'ordre :

Comment les trois races se placent-elles sur l’échelle r-K ? (...) Les Orientaux sont les plus K, les Noirs les plus r, et les Blancs se situent entre les deux.

Au cas où l'on n'aurait pas encore bien compris, il fait suivre cette extrapolation de quelques précisions supplémentaires, joliment teintées de subtiles nuances moralisatrices :

Le fait d'être davantage r signifie :
· gestation plus courte
· maturation physique plus précoce (contrôle musculaire, développement osseux et dentaire)
· cerveau plus petit
· puberté plus précoce (âges des premières règles, du premier rapport, de la première grossesse)
· caractères sexuels primaires plus marqués (taille du pénis, du vagin, des testicules, des ovaires)
· caractères sexuels secondaires plus marqués (voix, musculature, fesses, seins)
· contrôle du comportement plus biologique que social (durée du cycle menstruel, périodicité de la réponse sexuelle, prévision possible de l'histoire de vie à partir du début de la puberté)
· taux d'hormones sexuelles plus élevés (testostérone, gonadotropines, hormone folliculostimulante)
· individualité plus marquée (moins de respect de la loi)
· attitudes sexuelles plus permissives
· rapports sexuels plus fréquents (avant et pendant le mariage, et hors mariage)
· liens de couple moins solides
· enfants plus nombreux
· fréquence plus élevée de la négligence ou de l'abandon d'enfants
· maladies plus fréquentes
· espérance de vie plus courte


Après avoir parcouru cette longue liste, on est amené à se demander si notre professeur de psychologie ne ferait pas une sorte de fixette sur la question de la sexualité, surtout envisagée par lui  comme principale source de multiples dérèglements... Ce que ne dément pas l'hypothèse qu'il avance ensuite, et sa manière de la présenter :

La testostérone joue peut-être le rôle d’interrupteur principal, fixant la position des races sur l'échelle r-K. On sait que cette hormone sexuelle mâle influe sur l'idée de soi, le tempérament, la sexualité, l'agressivité et l'altruisme. Elle contrôle le développement des muscles et la gravité de la voix. Elle contribue aussi à l'agressivité et aux comportements à problèmes. Une étude portant sur plus de 4000 vétérans de l'armée a montré que les taux de testostérone élevés sont prédictifs d'une criminalité plus importante, de l'abus d'alcool et de drogues, de l'inconduite militaire, et de la multiplicité des partenaires sexuels.

Ainsi, c'est pour venir en renfort de cette théorie ridicule - mais qui a tout pour séduire nos actuels beaufs décomplexés - que le professor emeritus Robert Lynn s'est rendu coupable d'une imposture...

Les moralisateurs n'ont plus de moralité, faut croire...

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