"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

mardi 2 octobre 2012

Terrain plombé

Ils sont venus, et ils sont sans doute tous là.

On les admire, derrière leur banderole, arborant leurs écharpes tricolores d'élus de la République.

C'était donc samedi dernier, dans les rues de Lille, et le « collectif Pévèle - Mélantois en colère » manifestait pour dire « NON à l'implantation d'un camp de Roms à Cysoing ».

Exhibition de respectabilité républicaine.
Lille, 29 septembre 2012.
(Photo : Max Rosereau.)

Bien que le ouiquende ait été assez chargé en protestations publiques en tous genres, interdites ou autorisées, on peut encore trouver, dans nos quotidiens, le compte-rendu qu'a concocté l'AFP de cette manifestation.

On y lira, avec un grand soulagement, qu'un élu de Cysoing, adjoint au maire, « a souligné à plusieurs reprises (...), à l’aide d’un mégaphone », à l'intention des journalistes, des participant(e)s ou des badaud(e)s - on ne sait -, ceci :

Nous vous rappelons que ceci est une manifestation pacifiste et non-raciste.

Et, pour les incrédules et suspicieux qui voient du mal partout, la dépêche ajoute cette précision :

Des membres du Front national ont été écartés de la manifestation par les participants, selon une source policière. « Je m’y oppose totalement. On n’est pas là pour tenir des propos racistes », a affirmé le maire sans étiquette de Cysoing, Benjamin Dumortier, interrogé par des journalistes sur la tentative de participation du Front national.

Pour conférer un peu de relief à tout cela, le compte-rendu donne la parole à l'un des participants, « habitant de Douai et se revendiquant ancien militaire ». Il fait de la situation une fine analyse stratégique et prospective :

S’ils viennent chez nous, on va les exfiltrer comme à Marseille.

Incontestablement, notre « ancien militaire » ne manque pas de vocabulaire. On remarquera que les journalistes emballé(e)s n'avaient pas songé à utiliser le verbe « exfiltrer » pour parler de l'opération menée avec tant de succès par les excédés de Marseille..

Il conclut :

Marseille risque de faire jurisprudence.

Ce terme de « jurisprudence » laisse songeur, mais sans doute notre homme voulait-il parler d'une sorte de droit d'exfiltration qui serait maintenant reconnu...

Pour aider ses voisins à exercer leur nouveau droit,
l'obligeant témoin devra faire 34 km en 47 min.
(Trajet Douai-Cysoing établi par Mappy
qui ne fait pas jurisprudence, comme on dit maintenant.)

Il faut admettre, donc, que cette « manifestation pacifiste » était, au grand maximum, xénophobe.

Mais elle était d'une xénophobie qui sait montrer une touchante attention à l'autre.

Monsieur Benjamin Dumortier, qui dit « milite[r] pour une solution durable et l’intégration des populations », le montre bien en faisant valoir un fait qui s'oppose à toute implantation d'un campement sur le territoire de sa commune de 4 500 habitants :

Le terrain est pollué.

Il ne transmet pas aux journalistes les résultats de l'analyse de sol qu'il a dû faire effectuer. Peut-être sont-ils au courant. Le lecteur lointain, que je suis, croit deviner de ces histoires de métaux lourds, qui pèsent un peu partout à l'heure de la désindustrialisation, comme le chômage endémique. Cela plombe un peu l'atmosphère... Mais on lui sait gré de faire état de la pollution de ses terrains et de tout faire, en se joignant à ce rassemblement, pour éviter de mettre en danger la vie des Rroms expulsés, au mois d'août, des abords de Lille dont ils menaçaient de polluer le « vivre-ensemble ».

Plante en interaction avec des métaux lourds.
(Photo empruntée au blog Technologies Propres.)

La dépollution des terrains doit être assez coûteuse puisque de grandes sociétés s'en occupent...

En revanche, la dépollution des esprits de cette idéologie lourde qu'est la xénophobie est un domaine d'activité qui n'attire pas grand monde, et surtout pas les politiques de tous bords qui aiment bien suivre la pente de l'opinion, mais jamais en remontant (*).

La « délinquance roumaine », a été officiellement déclarée « "réalité" qu'il "ne faut surtout pas nier" » par monsieur Manuel Valls, ministre de l'Intérieur. C'était le 23 aout 2012, deux semaines après le « démantèlement » des camps à Villeneuve d'Ascq et Hellemmes . Depuis, on ne cherche pas, dans les médias, à la mettre en doute, ni même à la mettre en perspective. Au contraire, on nous l'assène régulièrement - et avec des extensions possibles à d'autres pays d'origine des Rroms -, en sauvant, autant que faire se peut, les apparences de l'objectivité journalistique. Ces informations sont souvent reprises en toute candeur par le public. Sans étonnement, en consultant la page Fcbk du collectif « Cysoing EN PAIX » - les majuscules ne sont pas de moi -, où déjà 2 172 personnes ont levé le pouce, j'ai trouvé des liens vers les plus sombres affaires, et notamment vers les informations toutes fraîches sur les démantèlements de réseaux criminels « au sein de la communauté Rom ». Certains commentaires, il est vrai, dénoncent le « hors sujet », contredits par d'autres qui affirment que ce n'est « pas si hors sujet que cela »... Il semble que les consignes de modération soient tenus, mais pas toujours faciles à tenir...

L'exercice légèrement masochiste consistant à lire les commentaires des sites de certains quotidiens hauts de gamme peut éclairer sur la manière dont le discours des honnêtes gens est contaminé par ces éléments lourds.

Je n'ai fait qu'un très petit sondage de terrain, sur le site du Monde. Il ne concerne qu'un seul article, par ailleurs peu commenté. J'en ai extrait une élégante formulation concernant « la "nuisance" (...) que provoque un campement insalubre peuplé de gens dont même les journalistes de gauche conviennent qu'ils apportent cambriolages et mendicité agressive », ainsi que cette mise à jour du prêt à penser :

On aimerait bien que tous ces Roms installent leurs campements dans les beaux quartiers, et aussi près de chez ceux qui les soutiennent. Quelques faits divers récents illustrent bien que la migration de cette communauté est organisée par une mafia endogène. L'exploitation des enfants et des femmes ne gêne pas certains. Il y a de la part de ces derniers une complicité passive, et peut-être parfois active.

Cette accusation de complicité pourrait bien inspirer quelque éditorialiste de renom...



(*) Tiens donc ! du Gide mâtiné de Raffarin...

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