"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

mardi 9 octobre 2012

La force de l'ordre hiérarchique

Jadis, en prenant la direction de France Inter, monsieur Philippe Val avait jugé bon d'évincer le journaliste Frédéric Pommier de la revue de presse au motif que celui-ci n'avait manifestement qu'une vague idée de la nécessaire « hiérarchisation de l'information ». Son rigoureux professionnalisme bien ordonné a pu s'émouvoir, ou même s'irriter, de voir que le quotidien Libération avait placé en tête de sa gondole, ce mardi, un tonitruant Marseille : Flics et voyous, alors qu'à l'évidence on aurait dû y trouver Prisons : Délinquants et salafistes, ou tout autre titre en accord avec l'impératif rédactionnel du moment.

Pour couvrir les péripéties de l'histoire des « policiers ripoux » de la brigade anticriminalité de Marseille Nord, la presse s'est montrée tout à fait exemplaire. Bien sûr, l'affaire a fini par passer à la une, mais sans précipitation, de sorte que la « hiérarchisation de l'information » a été parfaitement respectée, et sans bousculade. On a même eu l'impression que c'est la hiérarchie policière en général qui était respectée, tant il apparaissait, à la lecture des différentes dépêches qui tombaient, suivant le rythme implacable des placements en garde à vue, des perquisitions et mises en examen, que bien peu d'éléments autres que ceux fournis par les services officiels étaient livrés au public. Quelques « éclairages » de bonne tenue sont venus s'ajouter à ces informations, et ce fut comme si une presse irréprochable se mettait au service d'un pouvoir qui savait ne pas l'être.

Qu'ait été ouverte une enquête pour faits de « corruption » a probablement influé sur le lexique plumitif employé, et le terme de « ripoux » fut couramment utilisé. En faisant un bilan partiel des opérations, le procureur Jacques Dallest ne l'employa pas - du moins à ma connaissance -, mais il est resté dans le champ sémantique de la putréfaction en parlant de « gangrène »...

On a vite compris qu'il ne restait plus qu'à pratiquer l'amputation symbolique du membre en voie de faisandage.

Monsieur Manuel Valls procéda.

Les médias nous l'ont annoncé en prenant soin, généralement, d'illustrer leurs articles d'une photographie où le premier flic de France fait cet « œil môvé » dont il a le secret.

Scène d'amputation.
( Feldtbuch der Wundtartzney
de Hans von Gersdorff, 1517.)

La presse a été beaucoup plus discrète à propos de l'enquête sur des faits que l'on qualifiera peut-être de « violences par fonctionnaire titulaire de l'autorité publique » ou de « violences en réunion ». Sont mis en cause trois policiers de la brigade anticriminalité d'Arras.

C'est dans la très prudente Voix du Nord que l'information est apparue, reprise brièvement, et avec quelques divergences, par le Figaro :

Les trois hommes sont accusés d'avoir brutalisé un étudiant lors d'une intervention dans la nuit du 6 au 7 juillet à Arras, à proximité d'un bar de nuit.

(...)

Au cours de cette nuit de juillet, les policiers avaient interpellé une personne pour des violences sur personne dépositaire de l'autorité publique. Le lendemain, une autre personne présente au moment des faits avait déposé plainte, « se plaignant des conditions d'intervention des policiers », a expliqué le secrétaire général du parquet général.

Selon La Voix du Nord, « on distinguerait clairement les trois policiers » sur des bandes de vidéoprotection « (se déchaîner) sur un étudiant » qui «aurait reçu une quinzaine de coups de poing puis des coups de pied au sol». Des témoins qui auraient tenté de s'interposer auraient « été repoussés à coups de pieds et de gaz lacrymogène », affirme le quotidien. « Par la suite, les policiers impliqués auraient même tenté de mettre la main sur les bandes vidéos, en vain puisqu'elles avaient déjà été saisies par les enquêteurs », écrit La Voix du Nord.

L'article d'origine, signé de Samuel Coguez,  précisait, en introduction :

Ils n'ont ni été placés en garde à vue, ni suspendus le temps de l'enquête par la direction départementale de la sécurité publique du Pas-de-Calais (DDSP). Ils continuent d'ailleurs d'exercer leur métier dans les rues d'Arras, comme si de rien, alors que l'un d'eux est même surnommé « Monsieur coup de boule » jusque dans les arcanes du commissariat.

Le surnom du bacqueux a été repris dans la brève figaresque, mais on a laissé tomber le reste...

Comme on laissera peut-être tomber l'affaire, qui sait ?

Afin d'éviter tout amalgame, la hiérarchie, en la personne de monsieur Thierry Alonso, directeur de la sécurité publique du Pas-de-Calais, a tenu à « communiquer » :

Ce lundi, il rappelait que la probité et l'honnêteté de ces hommes n'étaient pas en cause. Rien à voir avec ce qui se passe à Marseille.

Pour le directeur, « c'est la responsabilité personnelle et professionnelle des policiers qui est engagée », s'il s'avère que ces policiers n'ont pas eu les gestes appropriés pour procéder à une interpellation.

Il semble que l'on entende là comme un rappel de cette présomption d'innocence qui a été, curieusement, bien peu mise en avant dans le cas des policiers marseillais...

Il est vrai que leur affaire avait été présentée d'emblée comme rare et exceptionnelle. On ne qualifie probablement pas ainsi celle d'Arras... Un policier qui vous démolit le portrait est beaucoup moins salissant pour l'honneur de son uniforme virtuel - réduit, en l’occurrence à un brassard - que celui qui vous vole.

C'est comme partout, il y a une hiérarchie...

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