"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

mercredi 17 octobre 2012

Passage en force tranquille

C'est sans trop de surprise que nous avons hier appris que monsieur Jean-Marc Ayrault n'était pas Premier ministre « par hasard ». Cette formule inédite, et d'une grande portée, lui serait venue au cours d'un échange houleux avec les membres de l'opposition à l'Assemblée nationale. On voit que monsieur Ayrault est devenu tellement Premier ministre qu'il a oublié les réflexes de l’enseignant qu'il fut : c'est, en effet, toujours lors d'un chahut que les profs montrent le meilleur d'eux-mêmes en matière de niaiserie. 

Sur le fond, je suis persuadé que personne, dans la région de Nantes, ne pense que la carrière de l'actuel chef du gouvernement ait été menée par lui au petit bonheur la chance. Si le hasard y a joué son rôle, ce ne put être que sous la forme d'heureuses opportunités, aussitôt reprises par une ambition obstinée.

Le tout pour la plus grande gloire de « sa » région.

Exemple de cette obstination, le soutien indéfectible apporté par monsieur Jean-Marc Ayrault au projet d'aménagement de l'aéroport du Grand Ouest sur les terrains agricoles de Notre-Dame-des-Landes, à une trentaine de kilomètres de Nantes.

Ce projet, dont la première ébauche remonte à 1963 - il s'agit donc d'une idée très moderniste -, est qualifié par certain(e)s de « pharaonique », « inutile » ou « mégalo ». Monsieur Jean-Marc Ayrault ne l'a pas trouvé tel, et l'a relancé en 2000. Depuis, il en accompagne avec beaucoup d'attention les diverses étapes, avec l'aide de Vinci, futur maître d'ouvrage, face à une opposition bien déterminée.  

Une barricade élevée hier au lieu-dit Fosse noir.

Alors qu'il avait à débattre avec des opposants teigneux, dont quelques-uns probablement dopés à la chocolatine, monsieur Jean-Marc Ayrault pouvait se consoler en pensant que son grand projet aéroportuaire avait, le matin même, avancé d'un grand pas. Les forces de l'ordre avaient mené à bien les opérations programmées d'évacuation des squats établis depuis trois ans sur l'emprise du futur établissement Vinci-Grand-Ouest, rebaptisée « Zone à Défendre » (ZAD) par les adversaires de l'aéroport.

Là-dessus, la presse nationale avait été d'une exemplaire discrétion, et la presse régionale d'une remarquable concision. A 10 h, une brève de Ouest-France annonçait qu'à Notre-Dame-des-Landes, les opérations d’évacuation des squats étaient terminées.

Elle avait reçu le libellé « Catastrophe »...

Le fil informatif en direct du même journal était, lui, classé « Faits de société ». Sans palpitations intempestives, on avait pu y apprendre qu'à longueur de temps, tout s'était passé comme prévu dans la progression des forces de l'ordre. La pacification n'avait rencontré, nous avait-on dit, une résistance très modérée, à laquelle on s'attendait et à laquelle on avait fait face avec discernement et modération.

Le préfet, à 10h, tirait le bilan des mouvements :

Nous avons constaté quelques résistances pour retarder la procédure. Mais aucun affrontement et pas d’interpellations.

Il semble pourtant que d'autres actions de résistance aient eu lieu, puisqu'un dernier point, effectué à 15h, signalait la présence d'« une petite centaine » de personnes « encore sur zone », qui semblaient « déterminés à ne pas lâcher un pouce de terrain ».

Mais la force restait tranquille :

« C’est une technique de harcèlement, décrypte une source proche du dispositif de maintien de l’ordre. Des barrages sont construits, détruits, et repris. Nous avons fait usage de gaz lacrymogène pour repousser les opposants. Face aux jets de pierres et de bouteilles, nous ferons un usage raisonné de la force pour éviter la casse des deux côtés. Nous avons assez d’effectifs pour faire face aux opposants sur la durée. »

Le fil des événements tenu sur le site desdits opposants est plus détaillé, plus riche, mais aussi plus difficile à suivre quand on se trouve à distance.

J'ai, bien sûr, essayé de consulter une carte, mais j'ai surtout regardé l'album de photos de cette journée d'invasion qui a été mis en ligne. Les noms de lieux s'y inscrivent dans l'espace, et il se trouve que cet espace, moi qui ne l'ai jamais parcouru - si c'était le cas, j'aurais une carte -, je le connais. Ces maisons, ces baraques, ces parcelles, ces haies, ces bosquets, ces petites routes, ces chemins boueux, autour de quoi se battent ceux qui veulent que cette campagne continue à vivre, ce sont aussi les miens.

Et je ne parle pas des tritons et des salamandres...

Aujourd'hui, la troupe de réoccupation a été maintenue sur les lieux...

Et l'on nous explique très pédagogiquement pourquoi :

Les opérations des très nombreuses forces de l'ordre qui ont procédé à l'expulsion mardi de quelque cent cinquante squatteurs militant contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, se poursuivaient mercredi 17 octobre à l'aube. Il s'agit de "la sécurisation physique des sites" et de "protéger les entreprises qui vont intervenir", notamment pour les fermer afin qu'ils ne puissent pas être réoccupés, a expliqué la préfecture de la Loire-Atlantique.

L'AFP, relayée par Le Monde, décrit l'ambiance :

Des gendarmes quadrillaient les abords du village lui-même et des CRS étaient stationnés à Bel Air, l'un des lieux évacués mardi matin, tandis que des camions équipés de puissants projecteurs balayaient dans la nuit les champs à la recherche de possibles opposants.

De quoi donner aux tritons l'amour du béton et du bruit des avions...


Ajout du 18 octobre : Communiqué de presse - 17/10 à 23h 30

On vit ici, on reste ici !!

Après deux jours de résistance et de solidarité, seuls sept maisons et un terrain ont été expulsés sur la Zad, zone menacée par le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Partout, les forces de l’ordre ont rencontré la détermination des opposant-e-s sous différentes formes : habitant-e-s refusant de quitter leurs maisons, d’autres juchés sur leur toit, rassemblements autour des lieux de vie, barricades sur les routes, opposant-e-s venus d’ailleurs pour rejoindre la zone, etc.

Depuis des heures, des opposant-e-s défendent les parcelles du Far Ouest du Sabot, terre maraîchère défrichée collectivement en mai 2011 et noyée à l’heure actuelle sous un nuage de gaz lacrymogène, au son d’une batucada. Des actions de solidarité s’organisent partout ailleurs, tel un rassemblement devant la préfecture à Nantes ce soir-même.

Contrairement à ce que laissait entendre le préfet mardi matin, la zone est donc loin d’être vidée. Restent une vingtaine de lieux occupés, sans compter les propriétaires, locataires et paysans vivant toujours sur place. La pression policière, dont témoigne entre autres l’incendie hier par les forces de l’ordre d’une cabane, sans même avoir vérifié si elle était encore occupée, ne fera pas taire la contestation.

Sans chercher à rivaliser avec l’arsenal militaire que la violence d’Etat peut déployer pour imposer ses projets « d’utilité publique », les actes de résistance continueront tant que le projet ne sera pas retiré.

Ici comme ailleurs, d’Atenco au Val de Susa, en passant par le Chéfresne et partout où des luttes se mènent, refusons de nous laisser aménager !

Dates à venir :

- samedi 20 octobre, à 12h, à la Pointe (le Temple de Bretagne) : rencontre entre opposants au projet d’aéroport autour des perspectives de la lutte

- dans le mois à venir, manifestation de ré-occupation sur la Zad, annonce de la date sur zad.nadir.org

Informations complémentaires : http://zad.nadir.org

8 commentaires:

  1. Même plus besoin de tenter de qualifier ce régime inqualifiable.

    K.-G. D.

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  2. Ton Triton, KaMaRaD, est une Salamandre.

    K.-G. D.

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    1. :-) Il me semblait que j'aurais dû vérifier...

      (Merci, je vais faire un ajout.)

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  3. Et pour être précis, il s'agit d'une salamandre tachetée :)

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  4. Enfin, je veux dire, il s'agissait. paix à son âme et à la protection de la biodiversité.

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    1. C'est bien triste de finir écrasé par les chaussettes à clous.

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  5. Oui, ces lieux sont les nôtres, et la grande limace tachetée qui se promène sur mon seuil, et les salamandres tachetées aussi. J'en surprends parfois vers où je demeure, mais ici aussi un massacre s'annonce. (Le lien de basta ! vers le site des opposants au carnage annoncé est invalide. C'est par là.)

    Que faire ? Bricoler des milliers de statues de toutes tailles de Notre Dame (des Landes), et les convoyer aux «zad» pour en mettre absolument partout «sur zone», comme disent les sème-la-mort ? Les chaussettes à clous écrasant une armée de Saintes-Vierges tutélaires, ça frapperait les esprits ? Et ensuite ?

    Quand est-ce qu'ils vont nous foutre la paix pour nous laisser le temps de (sur)vivre ?

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    1. Très forts les morvandiaux : tout ça sans aéroport !

      (Merci pour les liens.)

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