"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

samedi 13 octobre 2012

Une subtile distinction

Durant quelques heures, mercredi soir, une agitation fébrile s'est emparée des salles de rédaction, et l'on a, une fois de plus, frôlé l'emballement de la machine médiatique. Courait le bruit du placement en garde à vue de monsieur Éric Raoult, ancien député...

Les manchots touittaient à tour de bras, reprenant les rumeurs les plus folles ou hasardant les hypothèses les plus risquées. On racontait notamment - surtout sur les réseaux sociaux de Terre Adélie - que, profondément affecté par sa défaite électorale, notre homme avait, comme son champion adulé, laissé sa barbe pousser en signe de deuil. Mais avec son tempérament impétueux, au lieu de se contenter du désormais fameux « style bad boy homo revisité », il avait aussitôt revendu sa tondeuse sur le Bon Coin, attirant ainsi sur lui l'attention des chasseurs de barbus de l'antiterrorisme.

Les plus moustachus des investigateurs avaient, bien sûr, vérifié qu'aucune intervention n'avait eu lieu dans les environs du Raincy, mais le doute s'installait. L'incertitude et la perplexité furent enfin levées quand la rédaction de 20 minutes réussit à joindre le gardé à vue avant sa sortie. « Je suis à l'hôtel de police, pour l'instant j'ai juste été entendu », aurait-il répondu au téléphone - ce qui est, sans doute, une pratique assez courante lorsque l'on est en garde à vue. La maussade réalité balaya la fantaisie de la fiction : l'ancien ministre des gouvernements Juppé I et Juppé II expliqua qu'il s'était rendu à Bobigny afin de répondre à quelques questions au sujet d'une plainte pour violences conjugales qui aurait été déposée contre lui le 22 juin dernier... A cette première précision de calendrier, la presse crut utile d'ajouter cette autre :

Le 23 juin, Eric Raoult était hospitalisé pour un grave malaise, mais ne lie pas les deux événements. « Je mets plutôt ça sur le compte des résultats électoraux du mois de juin », estime-t-il.

Le fait d'avoir « juste été entendu » n'a peut-être pas suffi à l'ancien député vedette de l'UMP, que, justement, on n'entendait plus beaucoup depuis un bon bout de temps. Aussi, dès le lendemain, profita-t-il d'une invitation sur la fréquence modulée d'Europe 1, pour revenir publiquement sur sa lamentable histoire privée. Et c'est avec une exquise délicatesse qu'il s'épancha...

Il se défend d'avoir en quelque manière frappé sa future ex-épouse - la procédure de divorce est en cours -, et il en donne deux raisons, pour lui irréfutables :

D’abord parce que je n’en ai pas la force. Comme vous le savez peut-être, j’ai été victime d’un AVC (accident vasculaire cérébral), il y a quelques mois. Deuxième élément, on ne commence pas une carrière d’homme violent à 57 ans.

Monsieur Éric Raoult peut être rassuré. De ses ennuis de santé, les médias nous avaient naguère tenus informés. Ils viennent d'ailleurs de nous rafraîchir la mémoire en précisant la date : le lendemain d'un dépôt de plainte contre lui - il semble qu'il y en ait eu plusieurs. Pour convaincre de son manque de force et de sa non-violence conjugale subséquente, il aurait tout aussi bien pu, et avec plus vraisemblance, prétexter la méningite qu'il avait attrapée, durant son service militaire - qu'il fit, car le monde est petit, aux côtés de Nicolas Sarkozy -, en nourrissant les singes du centre spatial, ou même faire appel aux suites de n'importe laquelle des maladies infantiles que les gens de sa génération « faisaient » à tour de rôle.

L'aphoristique « deuxième élément » fera sourire, sans les persuader, ceux qui savent qu'en maints domaines « le temps ne fait rien à l'affaire ».

La posture de l'agneau était cependant intenable pour cet homme qui, par la vivacité de son discours, avait su se construire une solide image de « grande gueule » à l'Assemblée nationale. C'est sans doute pourquoi ses confidences radiophoniques s'enrichissent d'une manière d'aveu :

Je l’ai insultée, c’est vrai. Mais dire à son épouse, qui a 15 ans de moins que vous, « tu t’habilles comme une salope », ce n’est pas une violence conjugale.

Il va falloir s'y faire.

A 57 ans, monsieur Éric Raoult découvre le sens des nuances.

Nuancier de référence.
(Dictionnaire encyclopédique de l'épicerie et des industries annexes 
par Albert Seigneurie, édité par L'Épicier en 1904.)

On se demande, évidemment, quelle tenue avait bien pu revêtir madame Raoult pour s'attirer cette remarque incisive de la part de son futur ex-époux. En l'absence des précisions qu'elle refuse de fournir à la presse, on est réduit aux conjectures les plus aventureuses. Certains sphéniscidés du bout du monde, se basant sur l'expertise acquise par monsieur Raoult en matière d'habillement féminin, gazouillent que son épouse aurait fait acte de mutinerie en se glissant dans une burqa, mais on ne les croit pas...

On espère que, maintenant qu'il a retrouvé une audience médiatique, nous verrons prochainement notre arbitre des élégances publier une « tribune », un « point de vue » ou un « rebond » où il pourra s'étendre avec plus de détails sur ce que l'on pourrait appeler « une tenue de salope ». Il y a là, cela n'échappera à personne, un enjeu de société considérable.

Il pourra, s'il lui reste un peu d'énergie, en profiter pour nous éclairer sur un second point, dont la subtilité pourrait échapper à des esprits aussi grossiers que les nôtres :

... dire à son épouse, qui a 15 ans de moins que vous, « tu t’habilles comme une salope », ce n’est pas une violence conjugale.

(Oui, c'est moi qui grasseye grossièrement.)

Cette incise doit bien avoir une grande importance, mais laquelle ?

On s'interroge...

Faut-il comprendre que le fait d'être son ainé de quinze ans autorise un mari à insulter sa femme sans que l'on puisse considérer qu'il lui fait violence ?

Et s'ils avaient le même âge ? Et s'il était son cadet de quinze ans ?

Y aurait-il une différence d'âge où, dans la même distribution de genres, l'on pourrait effectivement parler, aux yeux de monsieur Raoult, de violence ? Et quel est-il ?

Afin de pouvoir apporter des réponses à ces questions, il faudrait disposer d'un critère permettant de différencier une insulte grossière d'une violence verbale. Comme j'ai du mal à faire la distinction, qui pour moi relève de l'impondérable, je pense qu'une commission parlementaire pourrait en discuter...

Elle ne saurait, évidemment, se passer de l'audition du maire du Raincy qui semble si compétent dans le délicat domaine de la casuistique conjugale.

Mais pour l'heure, il semble préoccupé par d'autres considérations :

« En l’occurrence, pour moi, la plainte pour dénonciation calomnieuse, je vais la déposer. Et je pense pouvoir obtenir des dommages et intérêts très importants », a-t-il déclaré ce matin sur Europe 1. « On va évaluer le préjudice. A chaque article de presse qui tombe, je pense que ça va augmenter le préjudice », a-t-il dit, estimant pouvoir réclamer « entre 300 et 500.000 euros » de dommages et intérêts.

Sa distinction naturelle l'empêche de se frotter les mains...

3 commentaires:

  1. Hypothèse : avec quinze ans de moins que lui, c'est une "salope" qui ne va pas manquer de le tromper, étant encore "mettable", comme disent ces messieurs, dans la bouche de qui c'est un compliment (l'insulte est flatteuse, de quoi se plaint-elle ?). À âge égal ou plus âgée, monsieur aurait été tenu de dire "vieille salope" (là oui, violence conjugale : par charité, faut pas lui dire, à la décatie, des fois qu'elle y croirait encore ; et puis violence aussi envers monsieur soi-même, qui entrevoit en la regardant qu'il n'a pas rajeuni non plus, et soudain ses quinze ans d'avance lui sautent à la figure...).

    D'autres suggestions ?

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    1. L'affaire sera jugée le 30 novembre, viens-je d'apprendre. Nous verrons si notre ami persiste dans son rôle de vieux barbon non violent.

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    2. Un «rôle» ? Mieux : «On ne commence pas une carrière d'homme violent à 57 ans» — à mon tour de grasseyer, tant cette phrase aussi nous fait entrevoir de gouffres spéculatifs. On dirait qu'investir à cet âge dans la carrière évoquée n'est pas un plan de reconversion rentable pour un sénateur congédié. En attendant, il y a la formation accélérée de plaignant diffamé, gros profits en vue (attention à la bulle tout de même).

      La sophistique ce monsieur me fascine...

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