J'ignore si ce titre de reportage
A Lille, les sans-papiers dans la tente de la faim
figurera un jour dans les anthologies du journalisme libéré, mais il me semble constituer un bel exemple de l'effet de détachement subtilement décalé qu'il est possible d'obtenir avec quelques à-peu-près judicieusement agencés...
Cet article, réservé aux abonnés, figurait sur la page d'accueil du quotidien, ce lundi - il a été mis à jour le 7 janvier 2013 à 9 h 15 -, et c'était le premier de cette ampleur à être consacré à la grève de la faim des sans-papiers lillois, pourtant commencée il y a maintenant plus de deux mois. Il était signé de Haydée Saberan, correspondante de Libération à Lille.
On peut y lire un bref historique des actions du CSP 59 - Comité des sans-papiers du Nord - qui ont abouti à cette grève de la faim :
Actif à Lille depuis presque dix-sept ans, et encore plus depuis la campagne présidentielle, le Comité des sans-papiers du Nord a occupé tour à tour depuis janvier 2012 le siège lillois de l’UMP, la fac de droit, la direction du travail, l’antenne de l’Office de l’immigration et des locaux de la mairie de Lille. A chaque fois pour réclamer le droit de défendre les dossiers en préfecture au même titre que d’autres associations. En vain. Le 2 novembre, ils votent une grève de la faim. Ils passent trois semaines chez eux, puis investissent l’église réformée de Lille-Fives. Au bout de dix jours, l’église demande leur expulsion. Ils sont dispersés dans 13 hôpitaux, puis dans des hébergements d’urgence de la région. Dans les hôpitaux, on ne les garde pas s’ils refusent d’être alimentés. Quelques jours avant Noël, ils débarquent dans l’église Saint-Maurice de Lille. Expulsés dans la journée, ils s’installent sur le parvis, où ils ont passé Noël et le nouvel an. La veille de la Saint-Sylvestre, deux d’entre eux sont expulsés vers l’Algérie.
Cela est assez succinct, mais cela représente un réel effort d'information si l'on compare avec ce qu'on peut lire ailleurs depuis le 2 novembre. On se contente, en effet, d'y reprendre, comme d'habitude, les rares brèves publiées par les agences de presse pignonnant sur rue, qui, elles, se contentent de donner le ton en reprenant des communiqués officiels.
Hier, une vingtaine de personnes a occupé le siège de l'Agence France Presse, place de la Bourse à Paris, pour dénoncer la couverture de l'événement par l'AFP, bien illustrée par une dépêche où, à propos d'« une brève occupation de la mairie de Lille », le 2 janvier, l'on évoquait des sans-papiers qui « se disent encore en grève de la faim »... Apparemment, seul le Nouvel Observateur a rendu compte de cette action. Il est vrai que l'Agence n'avait pas jugé bon d'en tirer la moindre dépêche.
Pourtant, on pouvait apprendre, de source militante, ceci :
Mardi 8 janvier, entre 15 et 16h, une délégation de soutiens aux sans papiers grévistes de la faim de Lille a été reçue par messieurs Bernard Pellegrin (adjoint au directeur de l'information de l'AFP) et Remi Tomaszewski (Directeur général de l'AFP). (...)
Messieur Pellegrin et Tomaszewski se sont engagé à :
- Un suivi immédiat par l'AFP de la grève de la faim sur place, à Lille.
- Relayer les enjeux et résultats de la rencontre prévue demain entre le CSP59 et le préfet du Nord, Dominique BUR, notamment si une conférence de presse s'organise à la sortie de la rencontre.
- De prendre connaissance et en considération les examens médicaux des grévistes de la faim fournis par le CSP59.
Il est vrai qu'on exagère l'inhumanité des gouvernements :
Avant même d'avoir commencé une grève de la faim,
ce migrant vient de recevoir ses papiers
Avant même d'avoir commencé une grève de la faim,
ce migrant vient de recevoir ses papiers
.(Photo : Abaca.)
Si Libération avait peu parlé, jusque là, des difficultés multiples rencontrées par les grévistes de la faim lillois, c'est probablement par manque de place dans ses colonnes.
Car il en fallait, de l'espace rédactionnel, pour rendre compte des piteuses gesticulations de l'histrion Depardieu et pour suivre la poussive polémique ainsi lancée.
Du reste, plus que la suivre, Libération l'a soigneusement entretenue, offrant de larges tribunes à quelques monstres plus ou moins sacralisés par le marché du spectacle.
Sur cette pesante controverse, qui lundi dernier faisait encore l'objet de plus de la moitié des « articles les + vus » de Libération, il est préférable de ne pas s’appesantir.
La grossièreté, la vulgarité et l'épaisseur de ce qui allait venir était, m'a-t-il semblé, annoncées par l'omniprésente image du comédien levant son pouce boudiné, mimique en forme de tic qui m'a fait - c'était inévitable - penser à un poème de Raymond Queneau, que je vous livre pour alléger un peu :
Maigrir
I
Y en a qui maigricent sulla terre
Du vente du coq-six ou des jnous
Y en qui maigricent le caractère
Y en a qui maigricent pas du tout
Oui mais
Moi jmégris du bout des douas
Oui du bout des douas Oui du bout des douas
Moi jmégris du bout des douas
Seskilya dplus distinglé
II
Lautt jour Boulvar de la Villette
Vlà jrenconte le bœuf à la mode
Jlui dis Tu mas l’air un peu blett
Viens que jte paye une belle culotte
Seulement jai pas pu passque
Moi jmégris du bout des douas
Oui du bout des douas Oui du bout des douas
Moi jmégris du bout des douas
Seskilya dplus distinglé
III
Dpuis ctemps jfais pus dgymnastique
Et jmastiens des sports d’hiver
Et comme avec fureur jmastique
Je pense que si je persévère
Eh bien
Jmégrirai du bout des douas
Oui du bout des douas Oui du bout des douas
Jmégrirai même de partout
Même de lesstrémité du cou
Raymond Queneau, L'Instant fatal, 1946, réédité en Poésie Gallimard, 1966.
Ce poème a été mis en musique par Gérard Calvi, qui a été interprétée par Denise Benoit.
On trouve en ligne la version des Charlots, qui date de 1977 :
Après avoir fait allusion à cette polémique un peu lourdingue du bide, on peut trouver que les Charlots sont d'une légèreté aérienne.
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