Gérard Minet, de la Ligue des droits de l'homme : « On avait espoir que ça change »
C'est peut-être là un exemple de ce que Jean-Marcel Bouguereau, éditorialiste de son état, nomme, avec une belle fidélité au vocabulaire le plus éculé de la droite d'antan, « l’angélisme de certaines associations ».
(On trouvera, si l'on y tient, cette expression désuète dans le titre et la conclusion du texte dudit Bouguereau que le Nouvel Obs a « sélectionné » pour ses lecteurs, en prenant soin de les prévenir qu'ils perdront 2 minutes à le lire...)
Un ange passe, on voit un bout d'aileron.
(Photo : AFP / Jeff Pachoud.)
On ne voudrait pas désespérer davantage monsieur Minet, mais on le renverra, pour un état des lieux de ses espoirs perdus, à ce billet suivi - qui mérite un peu plus de 2 minutes d'attention - où il pourra vérifier que la chasse aux Rroms est bien restée ouverte, et en grand, depuis le départ de Nicolas Sarkozy. Cette liste, probablement incomplète, des « démantèlements » opérés par les nouveaux maîtres du pouvoir, sous le couvert des lois bricolées par les anciens, indique assez qu'il n'y a pas l'ombre, en ce domaine, de la moindre solution de continuité.
On pourrait même, après l'avoir lue en détail, s'attendre à trouver, sur le site du parti se disant « socialiste », une ferme déclaration adaptant au nouveau contexte gouvernemental celle qui y fut publiée en date du mardi 4 Octobre 2011 à 19:41 et que l'on peut encore lire :
Un an après, on ne peut que constater l’inhumanité et l’inefficacité de cette politique d’expulsions massives et de destruction systématique des campements, qui ruine les efforts d’insertion, d’accès à la santé et à la scolarisation menées par les collectivités sans aucun soutien de l’État. Il faut souligner que le nombre de Roms présents sur le territoire est resté stable depuis dix ans mais leurs conditions de vie sont devenues plus précaires.
Les camarades n'auraient qu'à modifier légèrement l'incipit du paragraphe. « Un an après » y faisait allusion au « discours nauséabond » du 30 juillet 2010, à Grenoble, où Nicolas Sarkozy « lançait une offensive stigmatisante et répressive à l’encontre des Roms »... Mais il est plus probable que nos ami(e)s « socialistes » préféreront justifier avec subtilité les agissements du ministre de l'Intérieur et des Démantèlements. Cela leur fournira un exercice de rhétorique aussi utile que distrayant.
On apprécie la haute voltige intellectuelle, au parti.
(Porte-clé disponible à la boutique...)
Le 19 juillet 2010, soit donc une dizaine de jours avant le « discours nauséabond » de Grenoble, la communauté urbaine de Lille, « représentée par sa présidente » - c'est-à-dire par madame Martine Aubry -, adressait à monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance de Lille une requête, où elle avait « l'honneur » - je n'invente pas - « de [lui] exposer » :
Qu'elle est propriétaire d'une parcelle de terrain sise à Villeneuve-d'Ascq, Boulevard de l'Ouest, cadastrée LW 13,
Que depuis quelques jours, plusieurs véhicules et caravanes s'y sont installés, sans droit ni titre, ainsi qu'il résulte du rapport de constatation de la Police Municipale de Villeneuve-d'Ascq,
Qu'il s'agit là d'une violation flagrante de son droit de propriété, et que cette installation sauvage risque d'être à l'origine de difficultés et troubles de voisinage et qu'il y a donc urgence à ordonner leur expulsion,
Que la Loi du 5 mars 2007 n'a pas eu pour objet ou pour effet de dessaisir de ses prérogatives le Juge Judiciaire, gardien traditionnel de la propriété privée, la saisine du Préfet étant purement facultative,
Qu'elle sollicite en conséquence, qu'il vous plaise, Monsieur le Président, bien vouloir ordonner, d'urgence, l'expulsion de tous occupants installés sur ce terrain.
La signature était précédée d'un majuscule
PROFOND RESPECT
fort impressionnant...
Au « gardien traditionnel de la propriété privée » si profondément respecté(e), il plut « bien vouloir ordonner, d'urgence, l'expulsion de tous occupants installés sur ce terrain »...
Messieurs Fillon, Hortefeux et Besson, alors aux affaires, firent, en fin d'été 2010, des allusions appuyées à celle-ci, et madame Aubry répondit, assez piteusement, qu'il fallait distinguer l’évacuation d'un terrain - légitime, forcément légitime - des expulsions « par charters entiers » pratiquées par ces messieurs ricanants. Elle finit par soutenir, au bord du pathétique, que la communauté urbaine n'avait fait que transmettre une demande du maire de Villeneuve-d'Ascq, monsieur Gérard Caudron... Enfin, main sur le cœur, elle finit par assurer « que la communauté urbaine gèlerait ses demandes d'évacuation de campements ».
Selon La Voix des Rroms, les expulsé(e)s du 9 août 2012, à Villeneuve-d'Ascq, auraient eu de bonnes raisons de scander « Hortefeux, reviens ! ».
Car avec le changement est arrivé le dégel...
Dégel pour les uns, et débâcle pour les autres.
(Photo non créditée sur Le Figaro-point-fr.)
Les termes de la requête de juillet 2010 donnent un aperçu de deux points essentiels de l'argumentaire des apôtres du « socialisme » français, récemment esquissé dans les déclarations et communiqués du ministre de l'Intérieur.
Le premier point, purement technique mais au fond bien commode, consiste à déployer une sorte de machinerie légaliste en forme de parapluie, mettant à contribution le « Juge Judiciaire, gardien traditionnel de la propriété privée ». Une fois la décision de justice obtenue, les tenants du pouvoir pourront requérir la mise à disposition les forces de l'ordre nécessaires à son exécution. A supposer qu'ils aient jadis, quand ils étaient en leur adolescence et/ou dans l'opposition, développé une forme récidivante de prurit humanitariste, ils pourront calmer leurs démangeaisons avec la célèbre pommade Dura Lex Sed Lex, ou avec sa version générique La Loi C'est La Loi...
Le second argument est en train, semble-t-il, de devenir un pilier de la doctrine gouvernementale, et monsieur Manuel Valls a même réussi à en trouver une (re)formulation frappante et séduisante à la fois. La requête exposait le risque que présentait, aux yeux de la collectivité constituée demandant l'expulsion, « cette installation sauvage (...) d'être à l'origine de difficultés et troubles de voisinage ». Le ministre de l'Intérieur parle plutôt - car il ne manque pas de vocabulaire, ni de bonnes lectures - de « défi au "vivre-ensemble" qui ne doit échapper à personne », évaluant très clairement - et avec une condescendance candide qui n'échappera à personne -, l'importance de ce « défi » au fait que les campements de fortune sont « souvent situés au cœur de quartiers populaires »...
La notion de « vivre-ensemble » s'est banalisée avec entrain, ces dernières années, au point d'être devenue, dans l'esprit de certains, synonyme de « vivre-entre-nous », ne laissant à l'étranger, celui qui n'est pas - vraiment ? tout à fait ? du tout ? - comme nous, une place conditionnée par un effort d'appartenance à l'ensemble toujours préconstitué. Accompagné de toutes les arrière-pensées normatives que l'on voudra, le « vivre-ensemble » est devenu un ustensile de cuisine politique permettant toutes les exclusions en évitant, ou plutôt prétendant éviter, dans le cas qui nous occupe, les « stigmatisations » des populations que l'on tient à exclure du bel ensemble des gens comme nous.
Le triomphe du « vivre-ensemble », au sens de monsieur Manuel Valls, est peut-être illustré par les réactions des riverains que les quotidiens nationaux - excepté Le Figaro - n'évoquent qu'à mots couverts...
Aux pleurs de joie de ces braves gens, fidèlement rapportés par Raphaël Gibour dans Le Figaro, on ne peut qu'opposer ce qu'a vu Catherine Coroller, le 10 août, près du campement de la rue Montesquieu, à Lyon, et qu'elle décrit dans LibéLyon :
Ce matin, des habitants de l'immeuble en face avaient suspendu à leurs fenêtres deux pancartes sur lesquelles était écrit : « Laissez-nous vivre ensemble » et « laissez nos voisins tranquilles ».
L'expulsion n'a pas eu lieu...
Mais je crains que ces deux pancartes n'y soient pour rien, car celles ou ceux qui les ont arborées ne doivent pas s'y connaître beaucoup en « vivre-ensemble ».
Jolies les deux pancartes, tu as trouvé un peu de beau dans cette horreur
RépondreSupprimerTout le mérite revient aux voisin(e)s, et à Catherine Coroller qui les a vues...
SupprimerMaintenant, ça va être plus dur. Les voisin(e)s sont peut-être encore là, mais C. Coroller est en vacances.
Expulsés ce matin...
SupprimerCe qui donne dans Libé, qui par ailleurs publie l'argumentaire de Manuel Valls, le titre :
SupprimerUne cinquantaine de Roms dont 25 enfants expulsés d'un immeuble de Lyon