"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

mardi 15 mai 2012

Une nouvelle vague

Sans surprise, il s'est trouvé quelques candidat(e)s à la présidence de la République Française pour évoquer, d'une manière ou d'une autre, la puissance marémotrice du suffrage universel... Que la vague attendue ait été rêvée bleu-flic-UMP ou bleu-marine-FN, ce ne fut, on le sait, qu'une bien gentille ondelette, à peine crêtée d'un friselis d'écume rosâtre...



Un bleu plus éclatant existe pourtant...
La Vague, Yves Klein.
(Pigment pur et résine synthétique sur bronze.)
Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris.

Quant à moi, vaillant capitaine d'un bâtiment réduit à son escalier, j'ai préféré mettre en panne.

Et j'entrepris de ranger autant que possible autour de moi, en commençant par la pile des livres abandonnés un peu partout au gré du flux et du reflux de mes curiosités.


Parmi eux, comme pour renouer le fil métaphorique, j'ai pu retrouver Marée basse, que son auteur, Pierre Péju, sous-titre "Méditation sur le rivage, sur ce qu'on y trouve et sur le temps sans emploi". 


Ce petit livre, illustré de croquis de l'auteur, a été publié en 2009, aux Éditions Jérôme Millon, dans le cadre de la manifestation Livres à vous ! qui s'est tenue à Voiron (Isère), au mois de novembre de cette année-là. Pierre Péju l'a conçu durant la période estivale qui a suivi pour lui l'ultime mise au point de son roman La diagonale du vide (nrf Gallimard, 2009, repris en folio, 2011), période d'entre-deux où le mouvement de l'écriture est retombé :

Bribes de mémoire. Fragments de passé. Images de voyages déchirées en petits morceaux. Mais aussi regrets amers, boules de vieille angoisse hérissées de piquants, chevelures trempées de tristesse. Voilà ce qu'on glane, en soi, autour de soi, quand l'écriture est à marée basse.



Aucun des lecteurs de Péju ne s'étonnera qu'il y glane aussi des souvenirs d'enfance :

Parmi la multitude des objets abîmés que je me souviens avoir ramassés à marée basse, quitte à ne les examiner que quelques secondes ou à les conserver au contraire de longues années, figure un «journal intime », trouvé au cours de vacances de Pâques, sur le sable, entre deux rochers, sur une plage de l'Atlantique, aux environs de ma douzième année. Véritable diary book à l'épaisse couverture reliée en cuir vert olive et pourvu d'un fermoir à petite serrure, il avait dû être bien malmené par les flots ou séjourner longtemps dans la mer, car la serrure à demi arrachée était rouillée, le cuir couvert de cloques et de taches de sel, et les pages agglutinées les unes aux autres par paquets de dix ou vingt. Déployé et blanc entre les chevelures vertes des algues, je l'avais d'abord pris pour un oiseau mort. 

L'année inscrite en première page (1956 ou 58, je crois), et la date de chaque jour étaient encore déchiffrables, l'eau salée n'ayant pas eu complètement raison de l'encre d'imprimerie, mais la quasi totalité des textes manuscrits était illisible tant l'encre bleue de la petite écriture dont je ne devais jamais savoir si elle appartenait à un homme ou à une femme, avait été diluée. Ne subsistait plus, de cette vie racontée au jour le jour, que de longues bavures et nuées bleutées s'étirant en taches aquarellées vers le bord des pages croûteuses. 

Quelques lettres, quelques mots anglais, quelques fragments de phrases étaient encore identifiables, mais ils ne permettaient pas de découvrir ne serait-ce qu'un peu de la substance de telle ou telle journée. 

Ce manuscrit intime avait dû tomber à l'eau, ou être jeté à la mer, au mois de novembre, puisque les feuillets réservés aux jours des six dernières semaines de l'année, restaient vierges. M'en étant emparé, j'avais tenu le petit livre à bout de bras, espérant que le vent sécherait et décollerait les pages. Tout de suite l'objet m'avait semblé précieux, secret. J'étais ému et même gêné qu'il me fut échu. Quel était ce signe ? Qui, quelque part au monde, s'était penché chaque soir sur ces pages ? Et dans quelle solitude ? Alors, à maintes reprises, et sans espoir de comprendre, je me laissais emporter par cette écriture brumeuse, ces nappes difformes, volutes, filaments et délavages spectraux, d'où le sens fuyait mais d'où le rêve jaillissait.

J'imagine qu'un blogue abandonné ressemble finalement à cela.

La possibilité de jaillissement du rêve en moins...

Mais :

(...) on finit par désirer le retour des grandes marées. Rêver de la mer qui non seulement submerge tout, mais se précipite avec violence sur ces choses à moitié mortes qui, hors de l'eau, seraient vouées à la pourriture nostalgique.

14 commentaires:

  1. Homme libre toujours ...

    Faut trouver son hâvre
    ou quelque chose qui y ressemble,
    pas trop loin ...
    ;-)

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  2. Comme je suis contente de te retrouver !
    Tu nous réinstalles une petite infolettre ?
    Bise, Monsieur Guy.

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  3. Dans tout bâtiment, l'escalier est une pièce maîtraisse.
    Et,en plus,ça marche !
    Bon vent et bonnes marées !
    L'écume des mauvais jours s'éloigne..
    Mer forte à très forte
    Tenons bon la barre
    matelot qui nous Guy de..!

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  4. Comme vous avez l'air presque content(e)s, je ne suis pas mécontent...

    Je vais donc continuer la remise à flot.

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  5. Voui, faut faire ça, il
    faut aussi (c'est votre idée d'infolettre, Dorémi ?)
    qu'on puisse s'abandonner au flux RSS,
    genre, enfin, tu vois l'idée ...

    De toutes façons, le principe c'est "rhâââ, c'était mieux avant",
    d'où l'indispensable "presque" ...

    ;-)

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  6. J'ai peur de me noyer dans ces histoires de flux RSS...

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  7. Mais ils marchent les flux RSS (billet et comm)

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  8. Je respire aussi ! Voici qu'après plusieurs années j'ai dompté, humble cyber-nullasse, l'interface Blogger des commentaires à choix d'identité par menu déroulant, qui m'opposait jusqu'ici une fin de non-recevoir brutale et obtuse (alors que celle à choix par boutons marche si bien). Dompté la Méduse ! Entrevu ces grands fonds cybernétiques où l'explication rationnelle titube !

    L'enjeu, Toujours l'escalier, valait ce combat à mains nues. Bonus : dans l'ardeur du combat puis la liesse du triomphe, le commentaire saturé d'embruns et de licornes marines que j'ai failli commettre fut tout grignoté par la crevette providentielle de Francis Ponge.

    « La crevette ressemble à certaines hallucinations bénignes de la vue, à forme de bâtonnets, de virgules, d'autres signes aussi simples, — et elle ne bondit pas de façon différente.».

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  9. Ne parlons pas de Blogger, que j'ai réemployé par pure fainéantise.

    Sur certains écrans, m'a-t-on signalé, le "décor" - c'est le mot - a bien la semblance de "certaines hallucinations bénignes de la vue"...

    (Une fois passé le pont ascensionnel, nous verrons s'il existe un remède.)

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  10. Je confirme que le décor était mieux avant. Sinon, tu peux choisir de réemployer ton "ancien" modèle (ou un autre) dans les coulisses de ce blougui-là si tu le souhaites.
    Et j'aimais mieux aussi quand c'était une fenêtre pop up pour les comm', mais bon, je dis ça, je dis rien…
    Bise, Monsieur Guy.

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  11. Perdu ! C'est toujours moins pire maintenant, puisque c'est après le changement...

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  12. rififi ou kakophone je sais pas encore8 juin 2012 à 22:15

    ha ben voilà que l'escalier est revenu et on me dit rien à moi ! condamnée que j'étais à passer par les fenêtres
    je ne dirais qu'un mot : cool :-)

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  13. L'escalier, une fenêtre sur le monde sans échelle !

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