On situe la source la plus élevée sur les pentes du Ruwenzori, sur la frontière entre Ouganda et République démocratique du Congo, et la plus méridionale à Gasumo, sur le territoire de la commune de Rutovu, au sud du Burundi. Celle-ci est également la plus accessible. La route qui y mène à partir de Bujumbura a la réputation d'être carrossable. Et il n'y a pas à se tromper : on a marqué l'endroit en édifiant une pyramide incongrue, rappelant les inestimables dons civilisationnels du grand fleuve qui, en principe, y naît.
En avril 2006, on apprenait qu'« une expédition périlleuse a[vait] identifié la source du Nil au Rwanda » :
En avril 2006, on apprenait qu'« une expédition périlleuse a[vait] identifié la source du Nil au Rwanda » :
C'est en bateau que Neil McGrigor, un Britannique de 44 ans, Cam McLeay et Garth MacIntyre, deux Néo-Zélandais de 43 ans ont effectué la majeure partie de leur périple qui les a conduit à la source de la rivière Rukarara, la source la plus lointaine du Nil.
Les derniers jours ont été faits à pied alors que le volume d'eau de la rivière ne suffisait plus pour leur embarcation. Et vendredi 31 mars, au cœur de la forêt de Nyungwe au Rwanda, ils se sont arrêtés devant un filet d'eau jaillissant d'un trou vaseux à une altitude de 2 428 mètres. Cette exsurgence d'eau serait la source la plus lointaine du Nil.
Par égard envers la mémoire de Steve Willis, membre de l'expédition tombé au cours d'une attaque menée par des rebelles ougandais, on ne remarquera même pas que le premier récit de cette exploration fut malencontreusement publié le 1er avril 2006.
Pas de pyramide, mais peut-être un hôtel prochainement ?
Dans son roman Notre-Dame du Nil - Gallimard nrf, collection Continents noirs, 2012 -, Scholastique Mukasonga imagine une « source du Nil », elle aussi située sur le territoire rwandais, tout aussi vraisemblable :
Un sentier en pente raide mène à un éboulis d'où jaillit entre deux rochers un mince ruisselet. L'eau de la source est d'abord retenue dans un bassin cimenté avant de se déverser par une minuscule cascade dans une rigole incertaine dont on perd vite la trace dans les herbes du versant et sous les fougères arborescentes de la vallée. A droite de la source, on a érigé une pyramide qui porte l'inscription : « Source du Nil. Mission de Cock, 1924. »
En 1953, au dessus de la source, abritée sous une guérite de tôles, on a installé en grande cérémonie, suivant l'idée de Mgr le Vicaire apostolique, une statue de la vierge :
Alors, sur un signe de l'évêque, l'un des deux acolytes dévoila brusquement la statue. Le clairon sonna, le drapeau s'inclina. Une longue rumeur parcourut la foule. Les cris de joie aigus des femmes emplirent le vallon, les danseurs agitèrent leurs grelots de chevilles. La Vierge qui émergea du voile ressemblait certes à la Vierge de Lourdes comme celle que l'on pouvait voir à l'église de la mission, même voile bleu, même ceinture azur, même robe jaunâtre, mais Notre-Dame du Nil était noire, son visage était noir, ses mains étaient noires, ses pieds étaient noirs, Notre-Dame du Nil était une femme noire, une Africaine, une Rwandaise, pourquoi pas ?
A cette réjouissante invention, l'auteure en ajoute une autre, qui va devenir le cadre de son roman. Elle imagine qu'une fois proclamée l'indépendance, un lycée de jeunes filles, « destiné à former l'élite féminine du pays », a été construit non loin de la source. Il avait tout naturellement pris le nom de Lycée Notre-Dame-du-Nil. Ses élèves « devaient devenir des modèles pour toutes les femmes du Rwanda : non seulement de bonnes épouses, de bonnes mères, mais aussi de bonnes citoyennes et de bonnes chrétiennes, l'un n'allant pas sans l'autre ». Les dirigeants de la jeune république, héritiers des règles de la demokarasi de leurs anciens colonisateurs, et surtout de leur vison ethnique des divisions de la société rwandaise, avaient fixé un quota d'élèves Tutsi : l'« avant-garde de la promotion féminine » ne saurait en supporter plus de 10%...
Le roman de Mukasunga se présente d'abord comme la chronique d'une année scolaire dans ce lycée de fiction, quelques années après l'indépendance, et au début des actions génocidaires du « peuple majoritaire » contre ceux que le parti au pouvoir désignait comme des parasites à éliminer. C'est donc aussi la chronique d'un massacre programmé...
A côté des élèves du lycée, de leur directrice, de leur aumônier et de leurs professeurs, la narratrice a introduit un personnage singulier, un « vieux Blanc », ancien planteur de café et peintre raté, qui importe dans le récit le poids du romanesque nilotique que l'Occident attache aux anciens royaumes d'Afrique Centrale et plus spécifiquement aux Tutsi. Il est convaincu que les Tutsi sont les descendants des pharaons noirs et des candaces de Méroé qui auraient remonté le cours du fleuve pour venir s'établir au voisinage de sa source. A cela se mêle l'obsession vaguement érotique - mais dans le genre épuisé - du retour d'Isis. Alors que l'on dévoilait la statue de la Vierge de Lourdes relouquée en noir, monsieur de Fontenaille s'était écrié : « C'est Isis, elle est revenue ! » Dans sa propriété, il a fait construire un temple dédié à la déesse, qu'il décore de ses peintures, prenant pour modèles les jeunes filles du « quota » qu'il parvient à attirer chez lui...
Certes, monsieur de Fontenaille ne peut représenter toutes les errances prétendument scientifiques où se sont égarées les imaginations de l'homme blanc en remontant le cours du Nil. Les romans construits sur ces fantasmes sont multiples, et l'auteure rappelle que l'on a (presque) tout dit sur les Tutsi, et notamment qu'ils « venaient d’Éthiopie, c’étaient des sortes de Juifs noirs, des coptes émigrés d’Alexandrie, des Romains égarés, des cousins des Peuls ou des Massaï, des Sumériens rescapés de Babylone, ils descendaient tout droit du Tibet, de vrais Aryens »...
Mais ce personnage un peu perdu dans sa folie - qui se révèlera pas si douce que cela - illustre admirablement cette remarque désabusée faite par l'une de ses modèles :
(...) ici nous sommes des Inyenzi, des cafards, des serpents, des animaux nuisibles ; chez les Blancs, nous sommes les héros de leurs légendes.
Lorsque la violence se déchaîne, les légendes ne protègent pas grand monde, et elles désignent parfois les victimes.
Tant peuvent être multiples les sources profondes d'un génocide...
PS : Le roman de Scholastique Mukasonga a reçu le Prix Ahmadou Kourouma 2012 au Salon du livre et de la presse de Genève, et figure dans la liste des 16 romans retenus par le jury du prix Renaudot pour sa sélection de printemps...
Son deuxième livre, La femme aux pieds nus, paru en 2008, est maintenant disponible en collection folio Gallimard.
Mukasonga y évoque la vie de sa mère, victime du génocide de 1994 :
Maman, je n'étais pas là pour recouvrir ton corps et je n'ai plus que des mots - des mots d'une langue que tu ne comprenais pas - pour accomplir ce que tu avais demandé. Et je suis seule avec mes pauvres mots et mes phrases, sur la page du cahier, tissent et retissent le linceul de ton corps absent.
Ce livre magnifique est dédié
A toutes les femmes
qui se reconnaîtront dans le courage
et le persévérant espoir
de Stefania
Autrement dit, peut-être, à toutes les femmes d'Afrique.
Il y a partout des Tintin, et partout des Stefania d'ombre. Nous lirons ce livre aussi.
RépondreSupprimerC'est un livre tout à fait recommandable...
RépondreSupprimer