Paris XXe, 8 juin 2012.
Je l'ai photographiée comme je pouvais, sous le ciel gris de ce samedi-là, avec en tête le souvenir tout frais de ces lignes de Jean Meckert, parcourues avant de passer à la caisse de la librairie l'Atelier :
Ce qui distingue le mieux le primaire, c'est son besoin d'utilité. Il y a toujours du moraliste et du revendicateur chez l'homme qui travaille.
Quand je suis tout seul j'appelle ça l'esprit de lourdeur et je me comprends parfaitement. Je suis économe de tout et j'ai horreur de ce qui ne sert à rien, ça a été trop longtemps une nécessité pour moi. Ainsi, il y a des yeux au ciel et des yeux au trottoir, c'est toute l'humanité en raccourci. Je dis cela sans amertume exagérée.
Il ne faut rien brusquer. Je sais que moi aussi je verrai de jolies choses en levant les yeux et j'aurai peut-être une belle voix pour chanter tout ce qui ne sert à rien. Pour l'instant, j'ai le torticolis quand je me redresse. Je ne m'adresse encore qu'aux piqueurs de mégots. Je travaille dans l'utile et je préviens tout de suite ceux qui ne sont pas du quartier que ce n'est pas marrant.
Du quartier où a été prise cette photographie, Jean Meckert en était probablement quand, en 1935, il a recopié sur un cahier d'écolier ses premiers essais d'écriture. Il les avait nommés « Contes », et les éditions Joseph K. viennent de les publier sous le titre Abîme et autres contes inédits - l'extrait cité provient du conte-titre. Il a sans doute écrit ces textes à son retour de l’armée où il avait signé un engagement de dix-huit mois, croyant échapper au chômage... Il vivait alors de petits boulots, au point sans doute d'avoir le regret des ateliers de la rue de Chine, que recoupe la rue Villiers de L'Isle-Adam, où il avait été embauché comme arpète, et n'avait pas encore trouvé cet emploi qu'il occupera plus tard, à la mairie du XXe, non loin de là, place Gambetta, où il pourra dactylographier, sur des feuilles de papier timbré récupérées, son premier roman publié. Il dira souvent, sourire en coin, que c'est le papier timbré qui avait dû impressionner Raymond Queneau, lecteur chez Gallimard, et l'amener à défendre Les coups - 1941, existe en folio/Gallimard.
Ces « Contes » de la dèche, de la mouise et de la débine, ont été écrits par un tout jeune homme qui allait devenir auteur la Blanche de la rue Sébastien-Bottin, mais aussi, sous le nom de Jean Amila mais à la même adresse, auteur de la Série Noire. Il est difficile de les lire sans jouer à « Jean Meckert es-tu là ? » ou à « Jean Amila es-tu là aussi ? » et de ne pas conclure en disant qu'ils « annoncent l’œuvre à venir », après avoir fait la liste des qualités de l'écrivain Amila-Meckert déjà bien marquées... Mais, il semble que l'on pourrait aussi répertorier un certain nombre de faiblesses futures qui sont absentes de ces pages. On peut penser à ces afféteries de style qui gênent la lecture de son deuxième roman, L'homme au marteau - 1943, réédité en 2006 chez Joëlle Losfeld, collection Arcanes -, ou aux bons sentiments qui empéguent les livres nés de ses collaborations avec le cinéaste André Cayatte.
Il y a alors trop de rage chez Meckert pour chercher à plaire ou même plaider...
Quant au ciel, qu'il faudrait regarder, il est si loin, si noir.
Aussi noir que l'eau où se jette le narrateur d'Abîme, au pont du Carrousel :
Et alors, mes vieux copains, il s'est passé quelque chose que je n'ai jamais très bien compris.
D'être tout d'un coup un apprenti macchab, ça m'a concilié brusquement toutes les bonnes grâces de la société. Autant je pouvais les emmerder et les dégoûter quelques secondes auparavant, autant je devenais subitement intéressant; à croire que l'humanité c'est une sale bête monstrueuse et puante qui ne renifle que les cadavres.
Pour moi, messieurs, pour moi qui, vivant, n'étais pas considéré plus qu'un pet de lapin, pour moi tout seul, on a brisé des glaces, couru au téléphone, lancé des bouées, tendu des gaffes, des mariniers ont sauté dans leurs barques, la brigade fluviale s'est amenée avec son canot et son projecteur, au bout de vingt minutes, une manière de record dont je suis assez fier, on m'a repêché, on m'a fait les mouvements, on m'a collé dans la bouche, autour du thorax, partout, les appareils les plus perfectionnés ...
Faut croire que je suis un dur à cuire, j'en suis revenu. J'ai ouvert les yeux. J'en ai la souvenance très vague, forcément. On m'a roulé dans une couverture. Quand ils se sont aperçus que j'étais pas mort, j'ai cessé d'être intéressant, ils se sont mis à m'engueuler en me demandant des détails et tout. J'ai dit que j'avais plus le rond, ça leur a suffi. Ils m'ont laissé dans mon coin. Ils ont parlé de leur boulot, à donner tous les détails, c'était le sauvetage le plus réussi du mois, ils blaguaient tous, moi je ne comptais plus.
Un type est venu, il m'a engueulé copieusement d'abord et puis il m'a fait diriger sur l'hôpital.
On ne soigne pas le moral, à l'hôpital, on s'en fout. Seulement moi, j'ai eu la chance d'attraper une maladie intéressante, une bonne inflammation des bronches et de la plèvre par-dessus le marché, quelque chose de solide, j'étais un malade régulier, j'avais plus qu'à me laisser vivre.
D'être tout d'un coup un apprenti macchab, ça m'a concilié brusquement toutes les bonnes grâces de la société. Autant je pouvais les emmerder et les dégoûter quelques secondes auparavant, autant je devenais subitement intéressant; à croire que l'humanité c'est une sale bête monstrueuse et puante qui ne renifle que les cadavres.
Pour moi, messieurs, pour moi qui, vivant, n'étais pas considéré plus qu'un pet de lapin, pour moi tout seul, on a brisé des glaces, couru au téléphone, lancé des bouées, tendu des gaffes, des mariniers ont sauté dans leurs barques, la brigade fluviale s'est amenée avec son canot et son projecteur, au bout de vingt minutes, une manière de record dont je suis assez fier, on m'a repêché, on m'a fait les mouvements, on m'a collé dans la bouche, autour du thorax, partout, les appareils les plus perfectionnés ...
Faut croire que je suis un dur à cuire, j'en suis revenu. J'ai ouvert les yeux. J'en ai la souvenance très vague, forcément. On m'a roulé dans une couverture. Quand ils se sont aperçus que j'étais pas mort, j'ai cessé d'être intéressant, ils se sont mis à m'engueuler en me demandant des détails et tout. J'ai dit que j'avais plus le rond, ça leur a suffi. Ils m'ont laissé dans mon coin. Ils ont parlé de leur boulot, à donner tous les détails, c'était le sauvetage le plus réussi du mois, ils blaguaient tous, moi je ne comptais plus.
Un type est venu, il m'a engueulé copieusement d'abord et puis il m'a fait diriger sur l'hôpital.
On ne soigne pas le moral, à l'hôpital, on s'en fout. Seulement moi, j'ai eu la chance d'attraper une maladie intéressante, une bonne inflammation des bronches et de la plèvre par-dessus le marché, quelque chose de solide, j'étais un malade régulier, j'avais plus qu'à me laisser vivre.
Qu'aurait-on dit de ce manuscrit chez Gallimard ?
PS : Quand je prenais en photo cette inscription, des camarades de galère étaient probablement déjà être installés au 260 de la rue des Pyrénées, à quelques enjambées de là, dans un ancien foyer des PTT inoccupé depuis plusieurs années. Les « expulsés, mal-logés, énervés, chômeurs, précaires, enragés sociaux » savent bien qu'en regardant entre ciel et trottoir, on peut voir beaucoup de bâtiments vides...
J'ai appris leur présence le lundi suivant par un communiqué de soutien de SUD PTT.
On peut trouver, ici et là, des informations sur les aventures de ces nouveaux habitants du quartier. Le propriétaire de l'immeuble, l'« entreprise sociale pour l'habitat » Toit et Joie qui, depuis sa création en 1957, « intervient en tant qu’opérateur de logement social dans toutes ses dimensions » a eu le privilège de se voir offrir un gracieux publi-reportage par le Moine Bleu.
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