Nestor's Saga (The Tale Of The Ancient) est la première plage du disque The Amazing Adventures Of Simon Simon, où l'on entend John Surman aux saxophones soprano et baryton, à la clarinette basse et au synthétiseur, et Jack DeJohnette à la batterie, au congas et au piano électrique. Cet album est sorti en 1981, en cette exaltante période où socialisme français et libéralisme mondial s'observaient en attente d'une excitante parade nuptiale. Cette musique fut rapidement cataloguée comme « planante » - mot d'époque - et classée pas très loin des ramages relaxants du new age... Je redoutais même de l'entendre un jour l'autre utilisée comme musique d'ascenseur. C'est pourquoi, j'ai pris l'habitude, à cette époque, de préférer monter par les escaliers.
Mais j'écoutais tout de même le disque en cachette :
Mes craintes n'étaient évidemment pas fondées. Les spécialistes des ambiances sonores ont l'oreille mercenaire et putassière, mais fine. Il ne pouvaient pas ne pas entendre dans cette musique la tension qui l'anime et l'intranquillité qui la sous-tend.
Cette même intranquillité qui s'exprimait en toute liberté, une dizaine d'années avant, dans les improvisations de The Trio, le groupe formé de John Surman aux anches, Barre Phillips à la contrebasse et Stu Martin à la batterie.
De temps en temps, John Surman offre à son public un album solo, minutieusement enregistré en usant de cette technique qu'on appelait jadis le riricordigne et qui doit maintenant porter un autre nom tout aussi franglosaxon mais nettement plus tendance.
Après Westering Home, 1972, Upon Reflection, 1979, Withholding Pattern,1984, Private City, 1987, Road to Saint Ives, 1990, et A Biography of the Rev. Absalom Dawe, 1994, vient d'arriver Saltash Bells, 2012. Le disque est édité chez ECM, qui a mis en ligne un player où pourront le découvrir les oreilles curieuses de belle ouvrage sonore. Elles y entendront le britannique multiinstrumentiste y souffler dans des saxophones soprano, ténor et baryton, des clarinettes alto, basse et contrebasse, et un harmonica, tout cela sur fond de synthétiseur.
Dans ces dix compositions, John Surman part en quête des sonorités de son enfance. La plage qui donne son titre à l'album, Saltash Bells, évoque, nous dit-il, le son des cloches lointaines que, navigant avec son père sur une rivière du Devon, il entendait résonner sur l'eau et dans toute la vallée...
Mon vocabulaire est trop limité pour dire ce qui habite - poétiquement, cela va de soi - ces méditations musicales parfois crépusculaires.
Le hasard objectif, que ma subjectivité, bonne fille, est toujours prête à favorablement accueillir, a voulu que j'écoute ce disque en feuilletant le dernier numéro du Matricule des Anges, tout juste arrivé. Le « mensuel de la littérature contemporaine » - il n'y en a qu'un, et je suis abonné - consacre son dossier du mois à W. G. Sebald. En réponse à la question « En quoi Sebald réinvente-t-il une sorte de romanesque de la mémoire ? », Georges-Arthur Goldschmidt cite un court passage des Anneaux de Saturne que j'ai voulu replacer dans le livre, sans doute pour le simple plaisir de m'égarer et de me retrouver dans la prose de Sebald.
Je ne saurais évidemment dire - voir plus haut - comment s'est établie la résonance - ou l'accord - entre cette lecture erratique et la musique...
Mais c'était comme si le titre, si juste, du dossier du Matricule, W. G. Sebald, topographie de la mélancolie, avait aussi quelque chose à voir avec l'entreprise de John Surman.
PS : Georges-Arthur Goldschmidt cite le début de ce passage :
- Ce soir-là, à Southwold, comme j'étais assis à ma place surplombant l'océan allemand, j'eus soudain l'impression de sentir très nettement la lente immersion du monde basculant dans les ténèbres. En Amérique, nous dit Thomas Browne dans son traité sur l'enfouissement des urnes, les chasseurs se lèvent à l'heure où les Persans s'enfoncent dans le plus profond sommeil. L'ombre de la nuit se déplace telle une traîne halée par-dessus terre et comme presque tout, après le coucher du soleil, s'étend cercle après cercle - ainsi poursuit-il - on pourrait, en suivant toujours le soleil couchant, voir continuellement la sphère habitée par nous pleine de corps allongés, comme coupés et moissonnés par la faux de Saturne - un cimetière interminablement long pour une humanité atteinte du haut mal.
Traduit de l'allemand par Bernard Kreiss.
Ce passage se trouve à la page 107 de mon folio-Gallimard, mais aussi en quatrième de couverture - ce que j'ai préféré ignorer...
Aléatoires, variante : à la médiathèque de Trifouillèze, j'avais emprunté en même temps Austerlitz de Sebald et je ne sais plus quel CD d'Arvo Pärt (autre curieux de sons de cloches). C'est bien plus tard que, assoiffée de tout Sebald, j'ai réécouté, en même temps qu'une lecture du premier, le second par hasard — quoi ? peut-être ça ? Ou ça ?
RépondreSupprimerSoudain : fragmentation à grande vitesse + terreur de dissolution totale dans les paradoxes d'un vertige absolu.
Aléatoires, le tri : à présent, je trouve Arvo Pärt sinistre — tandis que les spectres de Sebald, avec toutes ces mèches qui rebiquent, sont si charnus.
D'Arvo Pärt, j'ai gardé "Tabula Rasa", surtout à cause de la fragilité de Gidon Kremer...
SupprimerEt de Sebald, comme toi, je crois, j'ai tout gardé.