Y figureront, bien sûr, bon nombre d'allocutions de l'ancien président Sarkozy, qui dominait le sujet avec grand talent.
(Dieu ! que cet homme-là aimait nous faire peur !)
Ce corpus imposant sera suivi, sans transition - ce serait inutile - par un choix des productions de monsieur Manuel Valls, qui vient, en ce domaine, de faire des débuts très prometteurs et très applaudis.
On pourrait commencer cette section, dont l'essentiel est encore à venir, par quelques propos tenus en marge d'une visite au chevet de la brigade anticriminalité de Marseille, le 12 octobre. Parlant du « spectre islamiste qui menace l'Hexagone » - cette heureuse expression est de Christophe Cornevin, décrypteur au Figaro - le ministre de notre Intérieur a frôlé, il semble, la métaphore cancérologique hasardeuse :
Manuel Valls a estimé vendredi que la France était confrontée à un « mélange du processus de radicalisation qui va de la petite délinquance en passant par le crime organisé, la rencontre avec islamisme radical en prison, le passage dans cet islamisme radical ».
Il s'agit selon lui d'un « processus qui conduit à ce que nous ayons de véritables ennemis en notre sein nous oblige à de la vigilance et à une très grande détermination ».
« Il s'agit bien de détruire ces cellules, ces réseaux qui peuvent préparer des actes importants », a-t-il poursuivi.
(Jean-François Rosnoblet, édité par Yves Clarisse, sur le site de France Inter.)
Il en a profité pour souligner que ni lui ni sa police ne restaient inactifs après les succès déjà obtenus :
Il a rappelé qu'il présenterait la semaine prochaine une loi antiterroriste « qui prolonge un certain nombre de dispositions, qui en crée d'autres pour combattre le plus efficacement possible le terrorisme, pour faire en sorte que le travail du renseignement nous aide à mieux appréhender ces phénomènes, notamment ceux qui veulent aller combattre à l'extérieur ».
Et sans doute pour clarifier cette histoire d'ennemis intérieurs qui vont combattre à l'extérieur :
« Nous savons qu'il y a encore peut-être des individus qui n'ont pas été appréhendés, qui sont peut-être allés combattre sur d'autres terrains à l'étranger », a déclaré Manuel Valls. « C'est le travail d'enquête et de justice qui va en faire maintenant la démonstration. »
(A la relecture, cette accumulation de « peut-être » que « nous savons » mais dont on va « faire maintenant la démonstration », me fait hésiter à placer ce dernier morceau dans une Anthologie des coups de menton...)
Pourtant, monsieur Valls ne manque pas de prestance,
surtout en contre-plongée.
(Photo, prise à Grenoble : Reuters.)
L'idée de cette nouvelle loi antiterroriste n'est pas récente. Elle était venue aux grand réactifs du gouvernement Fillon, soucieux de compléter l'arsenal juridique après les aléas de l'affaire Merah. Elle a été reprise par les nouveaux maîtres de la maison France, qui firent une première annonce du projet à la mi septembre. Depuis, celui-ci a été présenté en conseil des ministres, et envoyé devant le Parlement en procédure accélérée. Le Sénat l'a déjà approuvé, et l’Assemblée nationale ne se fera certainement pas prier pour faire de même.
Comme pour illustrer le discours prononcé par monsieur Manuel Valls devant les sénateurs, on avait appris que
Trois hommes de 23 à 25 ans soupçonnés d'avoir eu pour projet de partir faire le djihad dans des zones de conflit ont été interpellés mardi 16 octobre en région parisienne et placés en garde à vue, selon une source judiciaire, confirmant une information de la chaîne M6. Selon une source proche de l'enquête, ils étaient sur le point de se rendre en Somalie, via Addis-Abeba, pour combattre auprès de rebelles islamistes.
Assez peu de commentateurs remarquèrent que ces arrestations, intervenant au moment même où s'apprêtait à voter « un projet de loi qui permettra de poursuivre des Français commettant des actes de terrorisme à l'étranger ou partant s'y entraîner au djihad », montraient le peu d'utilité du nouveau dispositif antiterroriste...
Sauf pour insister encore et encore sur la « menace diffuse » des « véritables ennemis de l'intérieur »...
Il n'est pas inintéressant, à cette occasion, de relire les propos de Denis Salas recueillis par François Béguin, du Monde, et publiés le 17 septembre, après l'annonce de ce projet de loi.
A la question
La législation française avait-elle besoin d'être enrichie d'une nouvelle disposition permettant de juger à leur retour sur le territoire national des Français partant s'entraîner au djihad en zone afghano-pakistanaise ?
il répond :
Depuis 1986, la loi prévoit déjà le délit d'association de malfaiteurs qui permet de punir des crimes avant qu'ils ne se commettent. A mon avis, c'était suffisant pour prévenir des infractions de type terroriste. Il aurait plutôt fallu se demander pourquoi ce droit pénal préventif, qui est un outil d'une efficacité redoutable, n'a pas fonctionné dans l'affaire Merah.
Il y a deux possibilités. Soit Mohamed Merah s'est autoradicalisé en prison, mais alors comment aurait-on pu détecter sa dangerosité ? Soit il y a eu un dysfonctionnement des services de renseignement français et nous avons une nouvelle loi au lieu d'une autocritique transparente.
L'aspect le plus spectaculaire du projet reste la mise en place d'« une surveillance dans un cadre administratif et dans un but préventif des données de connexion (Internet, géolocalisation, factures détaillées du téléphone) ».
Ce qu'il en pense :
Cette disposition temporaire existait déjà. Elle était régulièrement renouvelée et devait expirer le 31 décembre. C'est un mécanisme extrêmement dangereux lorsque les mesures pensées dans l'exception deviennent permanentes. Le dérogatoire devient le droit commun. Avec la prolongation des surveillances sans contrôle judiciaire, on se prive des garanties de l’État de droit.
Amener une démocratie si fière d'elle-même à se priver de ces garanties est incontestablement pour le terrorisme une première victoire.
PS : Denis Salas est magistrat. Il a publié divers ouvrages, dont le plus connu est peut-être La Volonté de punir; essai sur le populisme pénal, paru chez Hachette en 2005, et réédité en collection Pluriel en 2010. Il a publié, en janvier 2012, La Justice dévoyée. Critique des utopies sécuritaires, aux éditions Les Arènes, un livre qui reste d'actualité.
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