Dans ce pays la foudre fait germer la pierre.
J'avais apporté le seul livre de Jacques Dupin qui était alors sur mes rayonnages, L'embrasure précédé de Gravir, paru en 1971 dans la collection Poésie/Gallimard.
Pendant mes promenades, m'accompagnaient quelques éclats de la Suite basaltique, qui ouvre Gravir, et commence par ce poème :
GRAND VENT
Nous n'appartenons qu'au sentier de montagne
Qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen
Et s'élance à la nuit, chemin de crête,
A la rencontre des constellations.
Nous avons rapproché des sommets
La limite des terres arables.
Les graines éclatent dans nos poings.
Les flammes rentrent dans nos os.
Que le fumier monte à dos d'hommes jusqu'à nous !
Que la vigne et le seigle répliquent
A la vieillesse du volcan !
Les fruits de l'orgueil, les fruits du basalte
Mûriront sous les coups
Qui nous rendent visibles.
La chair endurera ce que l'œil a souffert,
Ce que les loups n'ont pas rêvé
Avant de descendre à la mer.
C'est ensuite que j'ai découvert, lu et relu, la poésie exigeante de Jacques Dupin.
(Sans oublier ses études irremplaçables sur l’œuvre de Joan Miró.)
Jacques Dupin, en 2009, à la Fundació Joan Miró, Barcelone.
(Photo : Julian Martin.)
A l'annonce de sa mort, survenue le 27 octobre, l'envie encore de le lire et le relire...
Par exemple ces trois poèmes qui clôturent Le grésil, paru chez P.O.L. en 1996.
Il faut écrire il faut rire
le poème est la trajectoire
de la vie vraie dans un corps mort
dès l'instant de la naissance
il ricoche rebondit
et seuls comptent à ses yeux aveugles
l' œil de personne
le rire
des morts
le rapprochement la coïncidence
ambiguë de l'autre et de soi
une obscénité qui tranche
et ravit un œil vivant
dans l'œil du mort
La mort est un travail de paresse
une écharpe nouée, dénouée
subsidiairement la mise au clair
d'écrits dormants
d'esquisses
empêtrées dans la boue de l'air
de pieux fichés lentement
dans la tourbe
du temps perdu, regagné
tiré dans la lumière
Fusil de chasse corde puits
lanterne sourde ongle incarné
gardent la trace et le trait
du mouvement
d'un suicide évaporé
la rosée dans l'herbe le soleil dehors
par l'étendue aride consumée
je dors en chien de fusil
PS : Deux volumes de la collection Poésie/Gallimard regroupent divers recueils de Jacques Dupin.
Le corps clairvoyant, paru en 1999, réunit Gravir (1963), L'embrasure (1969), Dehors (1975) et Une apparence de soupirail (1982). Il a reçu une belle préface de Jean-Christophe Bailly, et propose, en annexe, l'ancienne préface à L'embrasure précédé de Gravir, qui était de Jean-Pierre Richard, et un texte de Valéry Hugotte.
Ballast, paru en 2009, regroupe trois recueils, Contumace (1986), Échancré (1991) et Le grésil (1996).
On pourra consulter, sur le site Remue.net, l'article du Dictionnaire des écrivains de langue française consacré à Jacques Dupin. Il est signé de Valéry Hugotte.
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