Ce service est dirigé par le docteur Denis Mukwege, « l'homme qui répare les femmes » (*).
Né en 1955, Denis Mukwege a trouvé sa voie dans la médecine, dont il a commencé l'étude en 1976 au Burundi. Tout juste diplômé, il a fait ses débuts à l'hôpital de Lémera, au sud de Bukavu. Peu de temps après, l'attribution d'une bourse d'étude lui a permis d'aller au CHU d'Angers pour se spécialiser en gynécologie. En 1989, malgré les propositions qui lui étaient faites de s'établir en France, il a choisi de rentrer au pays pour occuper le poste de directeur de l'hôpital de Lémera. Il échappa de peu aux tueries de la première guerre de libération : en 1996, l'établissement est détruit, personnels et patients massacrés. Il se réfugia un temps au Kenya, mais finalement revint à Bukavu pour fonder l'hôpital de Panzi avec le soutien d'un organisme caritatif suédois.
En regardant la vidéo suivante, on peut se faire une idée de ce qui a été a mis en place à Panzi, où il faut accueillir ces femmes blessées, victimes de viols, et leurs enfants - car la plupart n'ont plus de familles, ou sont rejetées par elles - et soigner le mieux possible les séquelles physiologiques des violences qui leur ont été infligées... Il s'agit essentiellement de fistules vaginales et/ou anales qu'il faut réduire par intervention chirurgicale. Denis Mukwege a perfectionné les techniques opératoires dans ce domaine, où il est désormais reconnu comme l'un des meilleurs praticiens.
Le documentaire dont sont extraites ces images, Bukavu, a été réalisé par Maud-Salomé Ekila pour l’École Européenne de Chirurgie Laparoscopique. La caméra ne s'arrête donc pas à la porte de la salle d'opération et filme aussi les grands gestes qui réparent.
Ces gestes sont beaux ; l'insoutenable, c'était avant.
Très tôt, le docteur Mukwege a su qu'il ne suffisait pas de recoudre inlassablement ce que d'autres avaient déchiré. Il fallait aussi se faire entendre et dénoncer la pratique du viol en masse et son utilisation comme arme de guerre, cette stratégie de la terreur qui vise à « démoraliser, humilier et finalement soumettre une population », mise en œuvre tant par les bandes rebelles que par l'armée régulière. Par son action, il a fini par acquérir une certaine notoriété et de nombreux prix lui ont été attribués - prix Olof Palme, prix des droits de l'homme des Nations unies, prix des droits de l’Homme de la République française, prix Van Goedart , prix Jean Rey, prix de la Fondation Roi Baudoin... Cette relative renommée amplifie sa voix qui tente de réveiller les instances internationales singulièrement somnolentes.
Le 25 septembre dernier, il a prononcé devant l'assemblée générale des Nations Unies un discours où il dénonçait, une fois de plus, « le silence assourdissant et le manque de courage de la Communauté internationale » face à « une guerre injuste qui a utilisé la violence et le viol des femmes comme une stratégie de guerre » et appelait à « une action urgente pour arrêter les responsables de ces crimes contre l’humanité et les traduire devant la justice ». Il a tenu ces propos sans les accompagner de ronds de jambe diplomatiques, récusant « la formule habituelle : "j’ai l’honneur et le privilège de prendre la parole devant vous" » :
Non ! Je n’ai ni l’honneur ni le privilège d’être ici en ce jour. Mon cœur est lourd.
Mon honneur, c’est d’accompagner ces femmes courageuses et victimes de tant de violences ; ces femmes qui résistent, ces femmes qui, malgré tout, restent debout.
Le docteur Denis Mukwege peut déplaire, et principalement à tous ceux qui ont un quelconque intérêt à instaurer et maintenir dans la région ce qu'ils envisagent peut-être comme un simple et profitable « équilibre de la terreur » - heureuse expression, n'est-ce pas ?
Alors qu'il rentrait chez lui, à Bukavu, après avoir raccompagné des visiteurs, au début de la soirée du 25 octobre, il a été l'objet d'une tentative d'assassinat. Cinq hommes en civil, mais équipés d'armes de guerre, l'attendaient. Ils ont tué, à bout portant, la « sentinelle » de sa « parcelle » qui tentait de l'avertir ou d'ameuter le quartier, et tiré dans sa direction avant de s'enfuir avec son véhicule, qu'ils ont abandonné et brûlé plus loin.
Le lendemain, les autorités congolaises envoyaient deux policiers pour protéger son domicile et ouvraient une enquête...
Peut-être plus affecté qu'il ne le dira jamais par cette agression, le docteur Denis Mukwege s'est réfugié en Europe, où il continue son combat, notamment auprès des instances européennes.
Mais il sait qu'à Bukavu des femmes déchirées l'attendent.
(*) Cette expression, un peu brutale, reprend le titre de l'ouvrage que Colette Braeckman a consacré au combat de Denis Mukwege. Il vient de paraître chez André Versailles, qui l'a édité en partenariat avec le GRIP - Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité.
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