La gauche française n'a pas la réputation d'être très intelligente, mais elle semble avoir une autre ambition : celle de devenir la gauche la plus cynique du monde.
En cela, on ne peut que l'encourager. Puisqu'en général c'est la droite qui verse dans le cynisme et la gauche qui se complait dans la bêtise, l'affirmation de cette particularité ne pourra que renforcer la position exceptionnelle de notre pays dans le concert des nations.
Alors que la bêtise de la droite se répand à jet continu, le cynisme de gauche n'apparaît que de manière fragmentaire et pointilliste. Il faut bien sûr y voir la preuve d'une grande modernité de la part des élites « socialistes » et de celles qui collaborent avec elles au sein du gouvernement.
Après avoir, sur le secteur de Notre-Dame des Landes, mis les forces de gendarmerie au service d'une société privée experte en bétonnages divers, et ainsi permis la « déconstruction » d'une quinzaine de bâtiments, la gauche française, en la personne du premier ministre, monsieur Jean-Marc Ayrault, vient d'annoncer, samedi, la création d'une « Commission du dialogue », présentée par lui comme « un premier pas vers l’apaisement ». Les médias, qui semblent ignorer que monsieur Ayrault a beaucoup d'humour, se sont, bien sûr, empressés de comprendre que la porte était ouverte pour des négociations...
Exemple de dialogue en train de tourner court.
(Photo, sans truquage, d'origine zadiste.)
Le matin même, et alors que la résistance au projet d'aéroport recevait d'un peu partout des renforts solidaires pour faire face aux violences des forces de la loi, pas moins de trois ministres - monsieur Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, madame Delphine Batho, ministre de l'Ecologie et monsieur Frédéric Cuvillier, ministre du Transport - avaient, dans un communiqué commun, « confirmé la nécessité de poursuivre le projet de Notre-Dame-des-Landes, tout en annonçant le renforcement des procédures "en faveur du respect de la biodiversité et de la préservation des terres agricoles" ». Même si l'on précisait qu'« il n'y aura[it] pas de défrichement à Notre-Dame-Des-Landes avant 6 mois », cette information donnait une indication précieuse sur le type de « dialogue » envisagé par monsieur Ayrault.
Aux opposants qui dirent aussitôt n'envisager aucun dialogue sans un « retrait total des forces de police », qui occupent et saccagent la zone depuis plus d'un mois, monsieur Manuel Valls répondit par cet aphorisme martial :
Il n’y a jamais de conditions au dialogue.
(Et il semble bien, en effet, qu'accepter un « dialogue » sans conditions ait quelque chose à voir avec certaines redditions.)
Généralement plus diserte, madame Najat Vallaud-Belkacem précisa justement les conditions de ce « dialogue » sans conditions :
Il ne s’agit aucunement de revenir sur le projet d’aéroport, il n’y a pas de reculade.
En revanche, il est pris acte qu’il y a des divergences d’interprétation sur l’impact de ce projet sur l’environnement et pour lever ces divergences, cette commission du dialogue servira à exposer à toutes les parties prenantes la réalité des travaux réalisés, de leur impact sur la biodiversité.
Il s’agira d’une commission d’informations partagées qui permettra au dialogue de se renouer dans de bonnes conditions.
Il semble bien, à lire attentivement ces explications, que la « Commission du dialogue » aurait pu aussi s'appeler « Commission de propagande pro-aéroport » et être confiée à quelques publicitaires de gauche.
Ils savent trouver le cœur de la cible.
(Photo prise au début de l'invasion de la Zad.)
Bien que les médias dominants du marché se contentent de reprendre les décomptes des personnes qui ont été, par les préfectures, reconnues comme blessées, la manière dont sont menés les préliminaires du « dialogue », au sens de monsieur Ayrault, finit par être connue. Certes, monsieur Valls salue bien bas et vante bien haut le « sang-froid » des forces de répression, mais les récits des brutalités exercées par elles dans la forêt de Rohanne se multiplient. On trouvera un de ces témoignages, concernant la journée qui restera probablement dans l'Histoire comme la journée d'ouverture du « dialogue », repris dans le Jura Libertaire. En cherchant un peu, on en trouvera d'autres...
Ailleurs, le très recommandable JL reproduit ce communiqué de l'équipe médicale de Notre-Dame des Landes :
Communiqué de l’équipe médic, 24 novembre 2012
Depuis des semaines d’occupation et de harcèlement policier et militaire, alors que nous continuons à défendre la zone du bétonnage programmé, nous avons atteint aujourd’hui, samedi 24 novembre, un pic de violence avec une centaine de blessé.e.s, dont une trentaine graves pris en charge à l’infirmerie de l’équipe medic établie à la Vache rit, l’une des nombreuses équipes de soins sur la zone.
On dénombre une vingtaine de personnes touchées par des éclats de grenades assourdissantes, aux jambes, aux bras, à la lèvre, au bas ventre. Ces bouts métalliques ou plastiques entrent dans les chairs, on peut rarement les extraire, et ils restent souvent à vie.
Les grenades assourdissantes sont censées être utilisées selon un protocole précis : notamment en cas d’encerclement des forces de l’ordre, et en direction du ciel, ce qui n’était clairement pas le cas aujourd’hui. Les gendarmes mobiles les utilisent de façon à ce qu’elles explosent à côté ou sur les manifestants, provoquant des blessures graves.
Une personne a été touchée au bas ventre par un éclat d’une de ces grenades offensives, provoquant un gros hématome et des lésions internes. On constate chez deux personnes 10 impacts chacune dans les jambes. Une personne risque de perdre son œil droit. On constate également une plaie au tympan due à un tir de grenade, provoquant une surdité brutale. Suite à des tirs tendus de flashball, on dénombre quatre blessures au thorax, avec fractures de côtes et état de choc, de multiples blessures aux jambes et aux mains, une blessure hémorragique au visage. Et de nombreux.ses autres blessé.e.s.
Il était difficile d’évacuer les blessé.e.s les plus graves par ambulance ou par véhicule particulier suite aux différents barrages de police. Ces scènes de défilé ininterrompu de blessé.e.s du matin au soir ravive dans nos mémoires le souvenir de l’action de masse contre les pylônes THT (Très Haute Tension) dans la Manche le 24 juin 2012 pendant laquelle les forces de l’ordre ont fait l’usage démesuré des mêmes armes, faisant plus d’une vingtaine de blessé.e.s en une heure.
L’habituelle stratégie de frapper fort celles et ceux qui résistent à leurs plans de destructions ne semble pas fonctionner ici à Notre-Dame-des-Landes. La force et la détermination est bien vive sur les visages. Nous ne lâcherons rien.
Avec des interlocuteurs ainsi assourdis, le « dialogue », au sens de monsieur Ayrault, ne peut être qu'apaisé...
Mais il ne faudrait pas trop oublier que les sourds parlent fort. De plus en plus fort...
Vous les entendez ?
bonjour, juste pour ajouter un témoignage du côté médical:
RépondreSupprimerhttp://www.lequotidiendumedecin.fr/actualite/sante-publique/aeroport-de-nantes-un-medecin-estomaquee-face-aux-blessures-des-manifestant
Je suis "heureux" d'assister aux réveil de médecins face à tant de violence. Il était tant!
Merci pour vos articles,
P.