"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

samedi 22 septembre 2012

L'intouchable liberté de caricature

Quitte à passer pour légèrement opportuniste - mais de cela personne ne se soucie -, je dois dire que j'apprécie très rarement le talent de Charb, dessinateur, journaliste et directeur de publication de Charlie Hebdo.

Mais aujourd'hui, je dois m'incliner.

Sa performance de mercredi, immortalisée par la série de photographies de Fred Dufour, de l'AFP, m'a convaincu.

Mignon tout plein dans un seyant petit machin à rayure, il tend vers l'objectif la couverture du dernier numéro de Charlie Hebdo, en arborant une belle tête de vainqueur. L'image la plus craquante est celle où on le voit lever son petit poing de vaillant résistant au monde si menaçant de l'intégrisme musulman.

C'est là, à mon avis, une des meilleures caricatures qu'il ait jamais réalisée : celle d'une parfaite tête-à-claque autosatisfaite.

 Photo : Fred Dufour / AFP.

Je fais, bien sûr, la part de la volonté d'autodérision, spécialité maison, car je n'oublie pas que Charlie Hebdo pratique un humour de qualité certifiée. D'ailleurs, je suis mort de rire, comme il se doit. Mais je me demande si cette composition de « second degré » n'affiche pas, en plus d'un dessin de couverture, un assez plombant esprit de sérieux.

Répliquant à Céline Rastello, du Nouvel Observateur, qui lui demande ce qu'il a « à répondre au CFCM (Conseil français du culte musulman) qui se dit "consterné" et au recteur de la Grande Mosquée de Paris Dalil Boubakeur qui appelle à "ne pas verser de l'huile sur le feu" », le rédacteur en chef, Gérard Biard, termine en disant :

Nous ne faisons pas de provocation, nous sommes dans notre rôle. Nous avons juste fait notre travail.

Ce « travail » a, semble-t-il, pour objectif de dénoncer les influences néfastes des religions , et sans doute, à terme, d’œuvrer à leur totale éradication. Devant Xavier Ternisien, du quotidien Le Monde, le rédacteur en chef reconnaît que c'est ce combat qui assure la cohésion de sa fine équipe :

S'il est un sujet qui cimente la rédaction, c'est bien celui de l'anticléricalisme. "L'attaque contre toutes les religions, c'est ce qui constitue notre identité, constate Gérard Biard. La rédaction comprend des anarchistes, des écolos, des communistes, des trotskystes, des socialos. Mais on est tous d'accord sur le fait religieux. Et je pense que nous sommes tous athées."

Même si l'on doute que la caricature, la dérision et l'ironie soient des outils bien adaptés pour « écraser l'infâme », on admettra que ce « travail » est, en réalité, une grande, belle et noble mission... Elle comporte de telles exigences que l'on peut s'attendre à une très prochaine théorisation du « devoir de blasphème ».

(Le jour où mon agnosticisme m'imposera des devoirs, je me ferai, pour le moins, curé.)

Le terme d'« anticléricalisme » profile le spectacle d'une joyeuse tablée où l'on se repaît indifféremment du curé, de l'imam, du rabbin, du bonze ou du lama, tous assaisonnés à la sauce satirique qui fit les grandes heures de la presse française. Les courageux travailleurs de Charlie Hebdo devraient s'offenser d'une telle image trop réductrice, car leur cuisine use de plus fortes épices. Sébastien Fontenelle, dans un article posté sur Bakchich, met les pieds dans le plat et débusque l'une d'entre elles.

Il permet ainsi de s'interroger sur le travail de la caricature dans l'histoire universelle de la haine.

Liberté de caricature, liberté d'expression.

Dit-on.

Mais pour exprimer quoi ?

3 commentaires:

  1. "Mais pour exprimer quoi ?"

    Oh le fait que Charlie Hebdo ne marche peut-être pas aussi bien que ça et qu'une opération de marketing peut relancer, probablement provisoirement, les ventes.

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  2. Pas sûr malheureusement qu'on puisse résumer ça à une banale et sordide opération de marketing. Je parierais plutôt que cette joyeuse équipe, "cimentée" par un anticléricalisme en béton, se compose de gens qui se sentent investis d'une grande mission...

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  3. Oui, d'autant plus que ce serait faire injure à ces grands professionnels de l'humour que d'interpréter, au seul premier degré, l'air vainqueur de Charb comme célébration d'un triomphe sur l'adversité commerciale.

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