L’expulsion, jeudi soir, d’un camp de Roms par des riverains laisse des questions sans réponses. Surtout, elle ne doit pas être réduite à l’indignation qu’elle suscite.
La dénonciation du travail effectué par ses collègues est vigoureuse :
Ratonnade, pogrom, milice... Les qualificatifs sont caractéristiques d’un emballement médiatique exemplaire, réduisant tout ce qu’il touche à la répétition d’atrocités passées, face à laquelle seule l’indignation est légitime.
(On comprend pourquoi ces emballé(e)s n'ont été embauché(e)s ni au NouvelObs ni à Rue 89...)
((Mais peut-être savent-elles ou savent-ils que « Ratonnade, pogrom, milice » sont des substantifs et non des qualificatifs.))
Septime-Émeric-Marie Le Pippre (1833-1871).
Jeune cavalier sur cheval emballé.
Original visible au Musée Magnin à Dijon.
En fait d'« emballement », on assiste peut-être à celui d'une journaliste qui a trouvé dans ce procès d'intention un « angle d'attaque » qu'elle croit très original, mais qui s'inscrit dans la droite ligne de ce que révèle une lecture à peu près chronologique des différentes contributions sur le sujet. Elles vont très lentement, mais très sûrement, vers une réduction de l'affaire à des proportions anecdotiques ou symboliques.
Au départ, la presse a fait son travail comme elle le fait d'habitude, ni bien ni mal. Dès le jeudi soir, dans une brève que l'on a titrée un peu abruptement - Des habitants expulsent les Roms et brûlent leur camp -, ont été rassemblés, à la hâte, de maigres éléments factuels :
Inquiétant signe des temps. Ce soir, vers 19h30, une cinquantaine d'habitants à proximité de la cité des Créneaux; dans les quartiers Nord de Marseille, se sont rassemblés pour procéder eux-mêmes à l'évacuation d'un camp de Roms qui s'étaient installés sur un terrain vague quatre jours plus tôt.
Après le départ de la quarantaine de personnes, les riverains ont aussi incendié tout ce qui restait du campement illicite. La police n'a pu que constater les faits, sans relever d'infraction. Ceux qui ont organisé cette expulsion reprochaient aux Roms plusieurs cambriolages qui s'étaient produits à proximité immédiate du campement.
Le lendemain, cette information a été étoffée de témoignages. On a pu entendre le brave Rachid donner sa version des faits et nous faire part de sa phobie des « microbes »... Cela pourrait donner quelques idées à ceux qui en manquent : en plus de déféquer partout et de voler tout le monde, le Rrom est donc porteur de « microbes ». Aux témoignages se sont jointes quelques réactions de responsables d'association... On a pu, en passant, mesurer l'écart entre leur effarement et le calme olympien des « riverains » si sûrs de leur bon droit et, sans aucun doute, de leur impunité. Enfin, quelques commentaires de politiques ont commencé à apparaître... Personne, bien entendu, n'a pu joindre les personnes expulsées du terrain...
Parallèlement, les articles se gonflaient de nouvelles considérations de plus en plus rassurantes, qui avaient de quoi dégonfler l'indignation de celles et ceux qui pensent que « le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde », qu'il a été consciencieusement inséminé, et qui le disent avec de trop grands mots...
Signe d'un retour à une information plus équilibrée, le titre de l'article du Monde, avec AFP, est, dans la journée, passé de
Des Marseillais brûlent un camp de Roms après en avoir fait fuir les occupants
à
Des Roms abandonnent leur camp à Marseille sous la pression de riverains excédés.
Il suffisait d'attendre, sans emballement, la version officielle. Le Figaro, sous la signature de Jean-Marc Leclerc, en donnait un avant-goût :
Un syndicaliste policier relate ainsi les événements: « Des agents de police étaient au contact des habitants. Il y a bien eu quelques invectives et la colère des riverains était palpable, mais les familles de Roms installées là depuis quelques jours ont levé le camp sans heurts. Quelques riverains exaspérés ont ensuite brûlé un frigo et une ou deux tables abandonnées par les itinérants. Mais ce n'était pas la bataille rangée. »
Des broutilles, donc.
Ce que confirme le Parquet :
Pour le procureur de la République de Marseille Jacques Dalleste, la méthode utilisée est discutable, «mais sans infraction ni violence constatées, aucune action ne peut être engagée contre les riverains», explique-t-il. Pour le magistrat, si cet épisode en est resté au stade des insultes, pas besoin d’aller plus loin, «mais si nous avons des plaintes de la part des Roms, on enquêtera», détaille-t-il.
Même son de cloche concernant l’incendie, qui s’est ensuite déclaré vers 22h. « Personne n’a été vu en train de mettre le feu », souligne le procureur. (...)
En fin de journée, l'« emballement médiatique exemplaire » semblait devoir mener l'opinion publique à la position adoptée par madame Samia Ghali, sénatrice-maire PS des 15e et 16e arrondissements de Marseille, disant, au sujet de cet acte de bravoure des « riverains excédés » :
Je ne le condamne pas, je ne le cautionne pas, mais je le comprends, quand les pouvoirs publics n'interviennent plus.
Ces propos étaient, certes, destinés à polémiquer avec le maire de Marseille, monsieur Jean-Claude Gaudin, mais on peut les trouver bien peu républicains - comme on aime tant à dire... Ils auraient dû faire sursauter quelque part au sommet de l’État.
Mais là, pas d'emballement...
Les plus hautes autorités ne réagiront probablement pas à ce qui devenu un simple « incident ». Elles perdront ainsi l'occasion rêvée de l'utiliser pour souligner le bien-fondé de leur politique de « démantèlement des campements illicites », menée avec la « fermeté » qui s'impose.
Et avec tant d'humanité.
Car, au fond, il est beaucoup moins traumatisant, pour ceux qui viennent de se faire expulser, de passer les restes d'un campement au bulldozer que d'y mettre le feu.
PS : Une autre brève de La Provence, publiée le 27 septembre, à 12 h 50, n'a fait l'objet d'aucun « emballement médiatique exemplaire »... Elle ne manque pourtant pas d'intérêt :
L'avidité des malfaiteurs ne connaît aucune limite. Hier soir, vers 22h30, trois hommes n'ont pas hésité à se rendre dans le camp de Roms de l'avenue de la Madrague-Ville à Marseille, en menaçant les personnes présentes avec un fusil.
Ils se sont fait remettre 300 euros, ainsi que des passeports. Les victimes ont alerté la police, mais les braqueurs avaient déjà pris le large dans les rues du quartier. Une enquête a été ouverte par la Sûreté départementale.
PPS : Enfin, pour rester dans une certaine tonalité, signalons qu'à Lille, selon La Voix du Nord, « 700 personnes ont manifesté ce samedi matin contre l'implantation d'un camp de Roms à Cysoing ». Le site des ami(e)s de Lutte en Nord, qui relayait un appel à une contre-manifestation, indique que, sur la page F****b**k de l’évènement on peut lire, entre autres commentaires haineux, celui-ci : « à vos chalumeaux ! »...
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