"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

jeudi 20 septembre 2012

Quelque part entre Foch et Clemenceau

Le flic le plus populaire de France est aussi, cela tombe bien, le premier d'entre eux.

Il aime assez cette appellation et en use régulièrement, lorsqu'il prend la parole, pour se présenter au public, au cas où celui-ci ne l'aurait pas reconnu.

Ainsi fit-il devant les « préfets de zone de défense, directeurs départementaux et territoriaux, commandants de groupements ou responsables territoriaux de gendarmerie » convoqués par lui, le mercredi 19 septembre, pour entendre sa bonne parole. Elle leur fut généreusement dispensée, en un « discours cadre sur la sécurité » que l'AFP a résumé pour les journalistes absents, et qu'en conséquence on peut retrouver, par fragments, dans la presse. Chaque citoyen(ne) ayant le goût des œuvres complètes  pourra consulter le texte intégral de cette intervention sur le site du ministère de l'Intérieur. Il faut de la persévérance pour en venir à bout. L'allocution affiche, à mon compteur, 48 796 caractères, soit, au pifomètre à l'ancienne, une bonne douzaine de feuillets... Cependant quelques grasseyements typographiques ponctuent le parcours de lecture en diagonale. Et on espère que la prochaine fois, il y a aura des illustrations. 

Pour cette prestation, monsieur Manuel Valls s'était déplacé « dans ce lieu symbolique de l'école militaire », où « de chaque mur (...), transpire la nécessité de la mobilisation, de la cohésion ». Ses troupes avaient été réunies dans un amphithéâtre portant le nom de Foch, et ce fut pour l'orateur l'occasion de se placer sous le patronage symbolique de ce maréchal-là :

Il menait une guerre. Nous livrons une toute autre bataille. J'en retiens bien volontiers la méthode.

Dit-il.

Une suggestion d'illustration :
Camille Ducray, Le Maréchal Foch,
 collection "Patrie", n°40, 1919.

D'un tel discours, et prononcé par ce ministre, il ne faut évidemment attendre aucune avancée dans le domaine des « libertés individuelles » et des « libertés publiques » - expressions qui ont d'ailleurs totalement disparu du discours politique, il me semble. Monsieur Manuel Valls, qui assure aux membres de son auditoire qu'il n'est pas « de ceux qui nient les résultats dus à [leur] action et [leurs] efforts passés » et qui « mesure pleinement les vertus de la conversion vers la police technique et scientifique de masse ou le recours à la vidéoprotection », y verrait sans doute, au contraire, une régression...

Comme pour se démarquer de ses prédécesseurs - il faut bien le faire un peu -, l'orateur revient sur son opposition à  « la politique du chiffre » et livre une critique (presque) détaillée des diverses manipulations insincères de « la statistique publique de la délinquance » qui, jusqu'à son arrivée place Beauvau, a été tenue. Mais pour « sortir de l'instrumentalisation politique et médiatique permanente de données, trop hétérogènes pour être significatives, ou trop agrégées pour ne pas être manipulables », il n'envisage qu'un « tableau d'indicateurs rénovés », dont l'« avant-projet » vient justement d'être mis au point... Il promet « large concertation et, si nécessaire, amendement », et même la consultation d'« un panel de chercheurs » - lesquels ? - avant l'adoption de ce « nouvel outil de pilotage », ainsi validé avec toutes les apparences de la scientificité qui s'imposent, à partir du 1er janvier.

Sa méfiance envers les statistiques de l'ère précédente ne l'avait pas empêché d'en user, probablement, pour s'autoriser à parler avec l'assurance de celui qui sait, quelques paragraphes plus haut, « de la poursuite inexorable de la hausse des violences, de la vive reprise, ces trois dernières années, des cambriolages, de la montée en régime d'une délinquance itinérante, difficile à combattre, parfois liée à des réseaux étrangers, de l'acuité plus forte que jamais du risque terroriste ».

Sans attendre la mise en place de ces très fiables « indicateurs rénovés », le ministre de l'Intérieur a profité de cette réunion des deuxièmes flics de France pour réaffirmer l'utilité et l'efficacité des « contrôles d'identité, comme outil d'intervention », les considérant comme « essentiels à l'activité des services et déterminants dans la lutte contre la  délinquance ». Sa doctrine ne se distingue pas vraiment par l'originalité de son point de vue :

Ces contrôles, j'en réaffirme toute la nécessité lorsqu'un acte de délinquance peut être légitimement suspecté sur la base d'éléments contextuels déterminés. Ou bien lorsqu'ils ont une visée préventive en marge d'un événement ou d'un site particuliers.

Après l'inutile et habituelle petite leçon de morale sur les éventuels abus de cette pratique, il faut bien que notre orateur aborde la question des « contrôles ciblés par le faciès » :

J'ai du respect pour la sincérité des promoteurs de la délivrance d'un récépissé à chaque contrôle d'identité. Je maintiendrai le dialogue avec eux. Mais, il me semble très difficile de retenir leur proposition, en définitive peu développée à l'étranger. Elle serait beaucoup trop bureaucratique et lourde à gérer, et porteuse de difficultés juridiques nouvelles en termes de traçabilité des déplacements et de constitution de nouveaux fichiers. En outre, partout où elle existe, elle est associée à une classification de la population incompatible avec notre conception républicaine.

Les « promoteurs de la délivrance d'un récépissé à chaque contrôle d'identité » s’estimeront donc heureux que monsieur Valls daigne encore leur adresser la parole et maintenir le dialogue... Mais quelle idée ont-ils eue de faire une proposition qui « partout où elle existe, (...) est associée à une classification de la population incompatible avec notre conception républicaine » ! Ils doivent avoir bien honte, maintenant...

Monsieur Valls est persuadé « qu'il existe de meilleures façons de traiter sérieusement le sujet de fond », et il expose ce qu'il va faire :

Dans le respect des prérogatives de l'autorité judiciaire, le cadre strict d'exercice des contrôles d'identité sera rappelé par les directeurs généraux, y compris s'agissant des modalités de déroulement des contrôles et de recours à la palpation de sécurité. Le code de déontologie sera précisé et complété. Enfin, je proposerai, après concertation avec les partenaires sociaux, de rétablir sur l'uniforme ou le brassard un élément d'identification, comme le numéro de matricule.

Je suppose que « cadre strict » et « code de déontologie » doivent être de ces expressions qui font mourir de rire en se roulant par terre - ou l'inverse - lorsque, à la pause, s'échangent les blagues entre derniers flics de France...

Et, chacun(e) l'aura remarqué, la « concertation avec les partenaires sociaux » devrait permettre, dans quelque temps, de conclure que le retour du matricule en devanture pourrait, comme toute forme de contrôle des contrôlés sur les contrôleurs, « compliquer, de manière déraisonnable, le travail des policiers et des gendarmes sur le terrain ».

Après avoir tenu la jambe de tout son monde pendant un bout de temps, monsieur Manuel Valls a sans doute voulu terminer de manière plaisante :

J'ai évoqué, en introduction, le Maréchal Foch, un militaire. L'équilibre des forces m'invite à convier, en conclusion, un civil, grand homme d'Etat et grand ministre de l'Intérieur. Un homme dont – ce n'est plus un secret – la lecture des écrits m'inspire.

Clemenceau et Foch, avaient des différences. Des oppositions parfois. Ils se retrouvaient, pourtant, dans un même amour acharné de la France.

En 1917, alors que devant le Sénat, Clemenceau donnait sa définition du courage, qui pour lui consistait à aller droit devant soi, il définissait aussi le cap de son action. Agir pour finalement se dire "J'ai donné à mon pays, tout ce que je pouvais". Donnons donc à notre pays tout ce que nous pouvons.

Ceux qui aimeraient respirer un peu n'en demandent pas tant...

Contrairement à celui qu'il inspire, 
Clemenceau avait parfois de l'humour.
(Dessin de Gill, date imprécise,
avec la signature de Clemenceau
précédée de : Vu et désapprouvé.)

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