"L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus abîme que le soleil ne cloche."

Robert Desnos,
Langage Cuit, 1923.

jeudi 19 juillet 2012

L'adjudant désarmé

A 9 ans, avec son mètre trente-cinq, ses vingt-quatre kilos, et malgré une musculature qui était loin de pouvoir rivaliser avec celle d'une lanceuse de marteau est-allemande, Nassuir devait avoir fière allure, le 7 octobre 2011, sur la plage de Longoni, pour qu'un avisé adjudant de gendarmerie décide de le neutraliser à l'aide d'un tir de flash-ball de type « super-pro ».

L'enfant y a perdu un œil...

Évacuation de Nassuir, pris en charge par un pompier.
(Copie d'écran vidéo.)

Mayotte s'insurgeait alors contre la vie chère et, ici ou là, s’enflammait.

D'où les circonstances de l'intervention, vue ici par l'AFP, relayée par L'Express, dans une dépêche du 11 octobre :

Vendredi dernier, alors qu'une manifestation réunissait 200 personnes à Longoni, cité portuaire de Mayotte, le directeur du port a alerté la gendarmerie sur la présence d'un groupe d'enfants se dirigeant, par la plage, vers les plates-formes de conteneurs.

C'est dans ce contexte que trois gendarmes de Mamoudzou sont intervenus et que l'un d'eux a fait usage d'un flashball en direction des jeunes. (...)

Selon la version gendarmesque, le gamin s'apprêtait à lancer une pierre sur l'un des collègues de l'adjudant, et celui-ci a donc cru devoir réagir par un « tir de protection », constituant sans doute à ses yeux une riposte proportionnée....

 Réaction nerveuse d'un spécialiste du « tir de protection ».

On laissera les détails du calcul aux experts en balistique ou en tout autre science, exacte ou inexacte mais assurément inhumaine, enseignée à l'école de gendarmerie. Mais on peut penser qu'entre l'énergie cinétique acquise par un projectile lancé par une arme de type flashball et celle d'un caillou qu'aurait jeté un enfant de neuf ans en direction d'un membre des forces de l'ordre, il existe une notable différence.

Cette disproportion n'a pas dû échapper aux autorités puisque l'auteur du coup « a été mis en examen pour "violences avec arme, sur mineur de 15 ans, par personne dépositaire de l'autorité publique, dans l'exercice de ses fonctions" » et placé sous contrôle judiciaire. A l'issue d'une reconstitution et de diverses audition, le procureur, monsieur Philippe Faisandier, allait jusqu'à estimer que « nous sommes en présence d'un tir volontaire, mais que ses conséquences n'étaient pas souhaitées ».

On peut penser que la justice, en cette affaire qui met en cause un membre des forces de l'ordre, suit son cours habituel sans forcer sa nature...

Cependant, on apprend qu'une décision récente du Défenseur des droits « demande que des "poursuites disciplinaires" soient engagées contre l'adjudant pour cet "usage disproportionné de la force" ». Comme monsieur Dominique Baudis a dû étudier les divers éléments du dossier, il réclame également « une sanction contre son collègue qui, comme l'auteur du tir, ne s'est "pas assuré de l'état de santé du jeune blessé", finalement secouru par un pompier volontaire ».

Seuls quelques rêveurs en voie de disparition ont pu imaginer qu'une commission de discipline de la gendarmerie avait pu prononcer, à l'encontre de ce militaire, des sanctions proportionnées aux conséquences - « souhaitées » ou non - de son « tir de protection ». Les plus obstinés d'entre eux on pu envisager qu'un gradé aurait pu - et là, on passe au conditionnel - le prendre entre quat'zieux pour lui faire comprendre qu'après un tel geste, qu'il ait été commis de sang-froid ou non, sa place n'était plus dans la gendarmerie.

Fictions pour pelleteurs de nuages que tout cela.

En cherchant un peu, on peut apprendre que

Le gendarme mis en examen pour avoir crevé l’œil d'un enfant de 9 ans par un tir de flash-ball lors des manifestations qui ont touché Mayotte en octobre 2011, a demandé que soit levé son contrôle judiciaire.

En effet, nous explique-t-on, ledit contrôle judiciaire lui interdit le port d'une arme et notre pauvre adjudant doit se sentir brimé :

Boris Roumiantsef se cantonne donc à des tâches administratives et souhaite retrouver le terrain.

Son avocat métropolitain, Me Laurent-Franck Lienard - entre autres choses spécialiste du droit des forces de l'ordre - estime qu'on empêche son client de travailler et va même jusqu'à tenir ces propos assez étonnants, et tout à fait désarmants :

Ce n'est pas un délinquant, le contrôle judiciaire, ce n'est pas pour un militaire, c'est humiliant.

La requête de l'adjudant a été examinée, personne ne lui a ri au nez, apparemment, et la décision a été mise en délibéré au 24 juillet...


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