– Ouvrez grands vos hublots, tas de caves, dit Fédor Balanovitch. A droite, vous allez voir la gare d'Orsay. C'est pas rien comme architecture et ça peut vous consoler de la Sainte-Chapelle si on arrive trop tard.
(…)
– Sainte-Chapelle, qu'ils essayaient de dire. Sainte-Chapelle...
– Oui, oui, dit-il aimablement. La Sainte-Chapelle (silence) (geste) un joyau de l'art gothique (geste) (silence).
– Recommencez pas à déconner, dit aigrement Zazie.
Raymond Queneau, Zazie dans le métro, Gallimard, 1959.
Selon les estimations de la conservatrice en chef de la bibliothèque de Trifouillis-en-Normandie, il me faudra attendre deux ou trois ans avant de pouvoir emprunter Métronome : L'histoire de France au rythme du métro parisien, le best-seller de Lorànt Deutsch - aux Éditions Michel Lafon, 2009. La notoriété de cet ouvrage vient d'être opportunément relancée par une adaptation télévisée assez médiocre, paraît-il, et, plus récemment, l'éclosion médiatique d'une polémique assez tardive. Le débat, relayé par des élus PCF-Parti de Gauche du Conseil de Paris vient tout juste de se noyer dans la tiède pataugeoire dudit Conseil. Cette instance municipale n'était certainement pas la mieux placée pour aborder la question de fond, qui est peut-être celle de l’utilisation courante, à des fins prétendues pédagogiques, de certains produits de qualité médiocre, mais placés « en promotion », de notre florissante industrie culturelle. Quand ils auront le temps, les responsables de l’Éducation Nationale pourront plancher là-dessus, mais je crois qu'il va y avoir un certain délai...
Il en sera de même pour ma lecture du Métronome, à moins que je ne me décide à le feuilleter très systématiquement, debout dans les rayons de mon hypermarché préféré où il doit être placé en évidence. Cela sera un peu plus confortable que de le lire dans le métro...
Ma curiosité est motivée par l’extraordinaire talent que laisse supposer l'auteur Lorànt Deutsch.
De la première livraison de l'adaptation télévisuelle de son œuvre, les critiques ont relevé et popularisé cette phrase qui enterre bien des perles laborieusement collectées par les correcteurs du baccalauréat :
Les Romains, face à l'armée gauloise, attaquent aussi par derrière.
Au lieu de m'en gausser comme un bossu, j'y vois une preuve de la riche érudition de notre homme. Pour en arriver là, il est indéniable qu'il a dû potasser un grand nombre de traités de stratégie militaire...
A l'oral, dans le décousu et le débridé, et surtout quand il affirme son attachement à l'idée de monarchie, il fait preuve d'un art consommé de l'aphorisme :
On n'a pas fait que couper la tête au roi, on a tourné le dos à beaucoup de nos racines.
Disait-il, lors d'une émission de Laurent Ruquier.
... pour moi, l'histoire de notre pays s'est arrêtée en 1793, à la mort de Louis XVI. Cet événement a marqué la fin de notre civilisation, on a coupé la tête à nos racines et depuis on les cherche.
Disait-il au cours d'un entretien retranscrit dans Le Figaro-Télé.
Si notre auteur prenait conscience de ses immenses possibilités, y ajoutant un peu d'humour et de travail, il pourrait peut-être rejoindre, avec de si fortes maximes, le grand Pierre Dac dans l'anthologie toujours en chantier du foutage de gueule.
Pierre Dac (1893-1975),
à Londres, probablement.
(Photo : AFP/Archives.)
Pour le reste, je ne pense pas, et l'on voudra bien pardonner mon immodestie, avoir vraiment besoin des travaux de Lorànt Deutsch pour me (re)donner le goût de l'Histoire, qu'elle soit de France ou de Paris. Mais sait-on jamais ?
Ce que je sais, c'est que j'ai, pour mes promenades parisiennes, un goût fort modéré pour les guides. Et je me connais assez pour savoir que j'aurais un peu de mal à adopter un guide pour lequel une association nommée Paris-Fierté a lancé une pétition de soutien, relayée par le Bloc identitaire, l'Œuvre française, Rivarol et Minute. Je préfère, à l'occasion, partir en me repérant le plus scrupuleusement possible sur un plan de Londres, Le Caire ou Barcelone, trois autres villes riches en histoires, ou encore en me référant au Paris introuvable de Karen Elizabeth Gordon.
Le guide insolite écrit par Karen Elizabeth Gordon,
illustré par Barbara Hogson et Nick Bantock.
Traduit de l'anglais par Danielle Mémoire.
Éditions Abbeville, 1997.
On doit ce livre à une spécialiste du langage, auteure d'ouvrages aux titres plus ou moins intraduisibles, The Deluxe Transitive Vampire: A Handbook of Grammar for the Innocent, the Eager and the Doomed - 1993 - ou The Disheveled Dictionary: A Curious Caper Through Our Sumptuous Lexicon - 1997 - ou encore Torn Wings and Faux Pas: A Flashbook of Style, a Beastly Guide Through the Writer's Labyrinth - 1998 -, mais aussi de nouvelles qui n'ont, à ma connaissance, jamais été traduites en français. Son Paris Out of Hand: A Wayward Guide de 1996 l'a été, mais ce fut certainement un parfait worst-seller qui est devenu - c’était couru d'avance - introuvable.
Cet insuccès éclaire indubitablement le spectacle désolant de ces troupes harassées de touristes que l'on voit se masser dans certains endroits de la capitale désignés par leurs guides prosaïques. Au retour, comme Charles et Gabriel accompagnant Zazie, ils confondront le Panthéon avec les Invalides ou le Sacré-Cœur, et devant leur diaporama les couples se déchireront...
Mais, loin de Paris, ils seront également loin du Café conjugal, sis au 368 de la rue des Allumettes :
Propriété de la compagnie qui possède et gère également le Café Conditionnel, le Café conjugal ne tolérera pas les silences glaciaux, les geignements et les voix anguleuses qu'un couple marié impose souvent à ses voisins de table. D'une partie à l'autre d'un ménage en péril, l'invitation à y dîner est donc le signal de la trêve: à peine sur place, les voici tout charme et civilité; il n'est pas rare qu'on ait, arrivé au café et aux profiteroles, oublié jusqu'à la cause du conflit. Que vienne, en revanche, un couple en pleine harmonie, et ce peut être le salut avant la mêlée, le calme avant la tempête.
La conjugalité s'entend ici en un sens élargi et englobe aussi bien un homme et son chien, une femme et son miroir, un ménage à trois plus ou moins ordinaire qu'une dominatrice occasionnelle et son esclave. Il n'est pas exigé de certificat de mariage ou de concubinage.
Dans les années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, le Conjugal était subrepticement devenu un marché d'échange de partenaires à court ou à long terme. Il est revenu, avec le Sida, à sa vocation première. Deux non avertis, surpris à s'y faire des reproches ou s'entre-corriger leurs anecdotes, se retrouveront à faire la vaisselle, hacher la chair à saucisse ou récurer les parquets, le temps de se réconcilier avant d'être expédiés au lit à l'étage au-dessus.
Hélas !
Et tant pis pour eux...
Ce guide précieux est judicieusement découpé en chapitres commodes à consulter : Hôtels, Vie nocturne et Loisirs, Restaurants et Cafés, Services, Sites et Monuments, Magasins et Boutiques, Transports. Sa parfaite inutilité pratique en fait un guide irremplaçable pour s'égarer sur les chemins où fleurissent d'étranges légendes urbaines :
Aux alentours de la Place Gambetta, dans le XXe arrondissement qui, légèrement suspendu, possède l'air le plus pur de la capitale et a, pour cette raison, attiré de nombreux hôpitaux ainsi que la rue piétonne à laquelle Villiers de l'Isle-Adam a donné son nom, il est une coutume qui peut, par à coups, à n'importe quel moment de l'année, de jour comme de nuit, briser la paisible surface du quartier. Les grands-mères, les mères, les adolescentes et quelques fillettes précoces y épinglent une fleur à leur corsage pour pleurer la disparition et honorer le retour et la mémoire de celui que Paris-Presse avait baptisé « le violeur en smoking ».
Bien qu'il n'ait pas confiné ses assauts à une seule rue, c'est Passage des Soupirs qu'il a commencé sa carrière. N'a-t-il été qu'un inoffensif dandy, ainsi que les fleurs semblent en témoigner ? Tout ce que faisait, en somme, l'élégant agresseur, c'était d'accoster les femmes seules dans les ténèbres de rues désertes et les forcer à danser avec lui. Il laissait toujours en signature une fleur épinglée sur la palpitante gorge de sa victime. Si vous remontez la colline depuis la place Gambetta, et si vous voyez une jupe tournoyer sur une mesure de valse ou de tango et une femme aux yeux étincelants, vous saurez que le fantôme en smoking est de retour, invisible, et adoré.
Le livre se termine avec des
ADIEUX AU LECTEUR
Les réjouissances ne s'achèvent pas ici, et votre voyage commence tout juste. Nous vous laissons aux soins des transports afin que vous puissiez être transporté de corps et d'âme où que vous le souhaitiez. Faites vos arrangements, vos dérangements, envoyez-nous une carte postale depuis la Poste du Pont Traversé (*), le pont entre désir et assouvissement. Bienvenue alors à vos propres pas ; ils vous mènent au Café Destinée (*), vous rencontrez un autre Introuvabiliste au Musée des Lèvres et Livres (*), ou prenez votre essor dans un hôtel silencieux. Paris est à vous, à votre demande, et nous espérons que vous avez trouvé de nouvelles questions, et non pas des réponses, au moment où vous allez laisser à découvert la part ensoleillée et la part noctambule de vos incomparables traces. Les fenêtres veulent vos yeux, les visages votre reflet, la vie d'une ville invite la vôtre.
(*) Lieux que seul ce guide vous permettra de connaître.
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