L'été, « saison des amours », est aussi la saison du ticheurte - imprimé de motifs ou non. L'étude de cet accessoire vestimentaire, assez ringard mais encore populaire, permettrait d'aborder la riche et subtile dialectique de l'occultation et du dévoilement. Cette problématique est centrale, on le sait, dans toute réflexion conséquente portant sur les costumes d’Ève, d'Adam et de leurs descendants. Les stagiaires pisse-copie y trouveraient leur compte pour l'illustration de leurs articulets, jouant avec la légèreté qui les caractérisent sur ce qui se trouve caché et ce qui se trouve révélé. C'est moins facile qu'avec le maillot de bain, mais tout de même plus aisé qu'avec le passe-montagne.
Avec le ticheurte imprimé, le thorax revêtu devient recto verso lieu d'affichage, et le vêtement, cachant le corps pour mieux en souligner les signes extérieurs de féminité ou de virilité, devient révélateur de goûts personnels, d'opinions et/ou d'appartenances diverses. Le costume devient l'expression d'une âme, en quelque sorte. Et on imagine assez bien que des observations affutées pourraient mener, dans le supplément vacances-j'oublie-tout de nos quotidiens, à de très judicieux articles brodant sur le thème « dis-moi ce qu'il/elle porte, je te dirai si c'est un bon coup ».
Le célèbre ticheurte Three Wolf Moon,
de la marque The Mountain.
Il est plus difficile de parler d'autodérision lorsqu'apparaissent sur le poitrail ou les omoplates certains signes plus abstraits, et notamment ceux qui furent jadis utilisés par les bataillons du national-socialisme conquérant...
Exhibition sans ticheurte d'une Wolfsangel
par une admiratrice de Boyd Rice.
par une admiratrice de Boyd Rice.
La Wolfsangel et le Totenkopf sont deux signes qu'affectionnent particulièrement les groupes de nazillons...
On pourrait arguer que la Wolfsangel est un graphisme ancien, runiforme, qui s'inscrit dans les blasons de plusieurs villes allemandes, mais on n'oubliera pas qu'elle a été reprise pour orner le fanion des unités de combat Werwolf créées en septembre 1944 pour s'opposer en francs tireurs à l'avance des Alliés. Le Totenkopf offre moins de prise à l'ambiguïté, puisque ce fut l'insigne de la SS-Totenkopf-Division, créée en 1939 à partir des SS-Totenkopfverbände, unités assurant la garde des camps de concentration. Si nul n'était censé ignorer l'histoire, on saurait que le porter revient à nier une longue liste de crimes de guerre, autrement dit de crimes contre l'idée même d'humanité...
Pour avoir affiché ces deux signes sur son ticheurte, un brave citoyen limougeaud s'est sans doute fort étonné d'avoir été pris à partie par deux jeunes gens choqués de sa parade indécente. Il le prit de très haut, et le ton monta à sa hauteur. Si bien que l'un de ses deux interlocuteurs s'oublia jusqu'à lui balancer une gifle en sa face.
Le meussieu ainsi outragé publiquement, officier de police de son état, fit appel à ses collègues en service pour coffrer Mathieu et Alban. Il rentra peut-être chez lui pour se tartiner la joue à l'arnica, mais auparavant il prit la précaution de se faire délivrer deux jours d'ITT - on en déduira, au choix, que la jeunesse indignée peut avoir la main lourde ou que le maxillaire policier peut se révéler délicat à l'usage. Ensuite, il se constitua partie civile, demandant 2000 euros de dommages et intérêts.
L'affaire vient d'être jugée au tribunal correctionnel de Limoges.
Les deux accusés ont reconnu, et expliqué, leur geste.
La victime a soutenu qu'il ignorait la signification des motifs ornant son ticheurte.
« J’aime les loups », s’est-il défendu.
(C'est un signe intérieur de virilité assez répandu, anéfé...)
Le procureur, monsieur Jean-Pierre Dartenset, a proposé de sanctionner ces « faits de violence » par un travail d'intérêt général, mais le verdict, après délibération, fut alourdi : les deux prévenus, devenus officiellement coupables, ont été condamnés à un mois de prison avec sursis et à verser 600 euros à la victime. Notre amoureux des loups pourra ainsi se procurer quelques pièces d'habillement plus anodines, et tout aussi seyantes, sans passer par les officines commercialisant de la vêture nazillonne. N'ayant peut-être pas encore fait son choix, « le policier mis en cause » (sic) n'a pas souhaité répondre aux questions de Léa Bénet, du Figaro.
Selon l'usage, le tribunal a siégé et la cour a délibéré en toute indépendance.
On s'est notamment affranchi de toute pesanteur historique. La présidente, madame Isabelle Parmentier a tenu à ouvrir les débats en déclarant :
On ne refait pas Nuremberg ici ! Nous sommes à Limoges en période de paix !
(C'est avec ce type de bon mot que l'on se fait une solide réputation de président(e) de cour d'assises redoutable, tous les chroniqueurs judiciaires vous le confirmeront...)
Notons simplement qu'« à Limoges en période de paix », on n'est, selon Mappy, qu'à 23 minutes, en voiture de taille moyenne, du site sanctuarisé d'Oradour-sur-Glane, où la division SS Das Reich opéra de la manière que l'on devrait savoir, arborant son insigne, la Wolfsangel.
On peut décréter que l'on va laisser l'histoire à la porte du tribunal correctionnel de Limoges, l'Histoire n'en est pas moins toujours là, aux portes de Limoges.
Insigne de la 2e division SS Das Reich.
(Image Wikipedia.)
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